Organisé annuellement sous l’égide de la Fondation Solon, le concours Solon propose une épreuve de légistique rédactionnelle qui consiste à rédiger, sous forme de texte d'une loi fictive, une proposition juridique tirée des travaux du congrès national des notaires de France.
La cérémonie de remise des prix 2025 s’est tenue le 29 septembre dernier dans le cadre prestigieux de l’Académie des Sciences Morales et Politiques qui accueille ce concours.
Le professeur Yves Gaudemet, président du jury, a remis à cette occasion les trois prix Solon aux étudiants en droit notarial lauréats du concours : Hippolyte Franzin (1er prix Solon), Laetitia Montaufray (2e prix Solon) et Virgile Billod (3e prix Solon).
Liliane Ricco
Cette année, les candidats ont travaillé sur une proposition de la première commission du 120e congrès consacré à l’urbanisme durable :
« Proposition 1 – Pour un statut de l'arbre dans le Code civil »
Adoptée
Le 120e congrès des notaires de France propose :
de créer un article 515-15 du Code civil, à la suite de l’article 515-14 du Code civil sur le statut de l’animal, disposant que : « L’arbre est un organisme vivant dont la préservation est d’intérêt général » ;
de protéger les arbres existants, même ceux à moins de deux mètres ; sans remettre en cause la règle de distance pour les plantations nouvelles ;
en conséquence, modifier les servitudes légales du Code civil, pour que la coupe des racines ou l’élagage des branches susceptibles d’attenter à la vie de l’arbre soient subordonnés à la démonstration préalable d’un trouble anormal. »
Nous présentons ici le texte d’Hippolyte Franzin, lauréat classé premier à ce concours.
Note préliminaire
Compte tenu des propositions du 120e congrès des notaires de France, du principe tenu pour acquis du nouvel article 515-15 du Code civil et, enfin, de manière à se conformer à l’objectif constitutionnel de rendre la loi plus accessible et intelligible comme aux incitations législatives dans le même sens, il convient non seulement d’intégrer les modifications nécessaires au nouveau statut de l’arbre mais également de clarifier les textes tout en préservant leur contenu juridique ou leur précision.
Il faut également garantir un équilibre entre le droit des propriétaires à gérer leur bien et la nécessité de protéger l’environnement (notamment au regard du statut constitutionnel de la Charte de l’environnement depuis le 1er mars 2005) comme les arbres, tout en prenant en compte les principes de protection constitutionnelle et conventionnelle du droit de propriété.
Le Code civil est modifié de la façon suivante.
Article 670 du Code civil
Version actuelle
« Les arbres qui se trouvent dans la haie mitoyenne sont mitoyens comme la haie. Les arbres plantés sur la ligne séparative de deux héritages sont aussi réputés mitoyens. Lorsqu'ils meurent ou lorsqu'ils sont coupés ou arrachés, ces arbres sont partagés par moitié. Les fruits sont recueillis à frais communs et partagés aussi par moitié, soit qu'ils tombent naturellement, soit que la chute en ait été provoquée, soit qu'ils aient été cueillis.
Chaque propriétaire a le droit d'exiger que les arbres mitoyens soient arrachés. »
Version modifiée
« Conformément aux dispositions de l’article 515-15, toute atteinte à un arbre doit être justifiée par un motif légitime, prenant en compte l’impact environnemental et la valeur écologique intrinsèque de l’arbre.
À ce titre, chaque propriétaire ne peut exiger l’arrachage des arbres mitoyens qu’en cas de danger ou de trouble anormal de voisinage.
Les arbres qui se trouvent dans la haie mitoyenne sont considérés comme mitoyens, tout comme la haie elle-même. Les arbres plantés sur la ligne séparative de deux propriétés sont également réputés mitoyens.
Lorsqu’ils meurent, sont coupés ou arrachés de façon légale, ces arbres sont partagés par moitié. Les fruits sont recueillis à frais communs et partagés également par moitié, qu'ils tombent naturellement, qu'ils aient été cueillis ou que leur chute ait été provoquée sans préjudice pour l’arbre.
Les propriétaires d’arbres divisoires sont tenus d’assurer la bonne santé et la préservation de ces arbres. Ils doivent également informer leur voisin de toute intention de procéder à des travaux susceptibles d’affecter l’intégrité de l’arbre. »
Note
La nouvelle rédaction commence par une référence explicite aux dispositions de l’article 515-15, cet ajout constituant une nouvelle introduction qui n'existe évidemment pas dans la version actuelle mais dont l’intérêt est de souligner l’importance sociale et environnementale que possède tout arbre.
La définition des arbres dans la haie mitoyenne et ceux plantés sur la ligne séparative est conservée, bien qu’une formulation plus fluide et précise ait été privilégiée.
L’alinéa 4 concernant le partage des arbres est également légèrement reformulé par l’ajout du terme « légal » aux fins d’ajouter une nuance importante quant à la légitimité de l'arrachage, ayant dorénavant à se conformer à de nouvelles exigences. Dans le même sens, la règle concernant le partage des fruits est largement maintenue mais en ajoutant « sans préjudice pour l’arbre » pour éviter que les conditions d’une chute provoquée puissent méconnaître lesdites exigences.
L’introduction d’un nouvel alinéa impose de manière acribique aux propriétaires d’assurer la bonne santé et la préservation des arbres, ainsi que de tenir informé leur voisin de toute intention de procéder à des travaux susceptibles d’affecter l’intégrité de l’arbre, afin de renforcer la protection des arbres mais aussi d'encadrer plus strictement les droits des propriétaires en matière de gestion des limites de propriété et des relations de voisinage.
Enfin, « Chaque propriétaire a le droit d'exiger que les arbres mitoyens soient arrachés » est remplacé par « Chaque propriétaire ne peut exiger l’arrachage des arbres mitoyens qu’en cas de danger ou de trouble anormal de voisinage », cette modification substituant au droit d'exiger l'arrachage des critères spécifiques pour justifier une telle demande, de telle sorte à se conformer au nouveau statut de l’arbre dans le Code Civil.
Article 671 du Code civil
Version actuelle
« Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations.
Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur.
Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les espaliers. »
Version modifiée
« Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements en vigueur ou par des usages constants et reconnus. À défaut de règlements, de conventions entre les parties et d'usages, ces plantations doivent respecter une distance de deux mètres de la ligne séparative pour les espèces dont la hauteur dépasse deux mètres, et d'un demi-mètre pour les autres plantations.
Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers de chaque côté du mur séparatif, sans qu'aucune distance ne soit requise, à condition qu'ils soient entretenus de manière à ne pas dépasser la crête du mur.
Si le mur n'est pas mitoyen, seul le propriétaire de ce mur a le droit d'y appuyer les espaliers. »
Note
Les distances de deux mètres pour les plantations de plus de deux mètres de hauteur et d'un demi-mètre pour les autres plantations sont conservées sans changement dans la mesure où, bien entendu, le nouveau statut de l’arbre ne saurait équivaloir à une totale dérégulation des droits et obligations en matière de voisinage ni même à permettre des plantations anarchiques sans qu’en pareil cas, tout arrachage d’arbre devienne impossible.
Pour autant, un certain nombre de modifications terminologiques intervient pour permettre une formulation plus concise et actuelle (exemples : « règlements particuliers actuellement existants » simplifié en « règlements en vigueur » ou « qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages » évoluant en « respecter une distance de deux mètres de la ligne séparative »).
Après « À défaut de règlements », est ajoutée l’hypothèse « de conventions entre les parties » pour élargir la possibilité de déroger aux distances aux moyens d’accords spécifiques entre propriétaires, en ajoutant une flexibilité dans la gestion des plantations mais également par souci de cohérence interne aux nouvelles formulations proposées, compte tenu du nouveau troisième alinéa de l’article 672.
La possibilité de planter des arbres, arbrisseaux et arbustes en espaliers est maintenue, mais l'expression « sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance » est dorénavant remplacée par « sans qu'aucune distance ne soit requise », toujours dans l’objectif de rendre la formulation plus claire et directe.
En matière de condition de hauteur, la règle « mais ils ne pourront dépasser la crête du mur » se trouve modifiée en : « à condition qu'ils soient entretenus de manière à ne pas dépasser la crête du mur », de manière à souligner la responsabilité d'entretien des propriétaires pour respecter cette condition. Cela priorise l’arbre et non les droits attachés au fond voisin, à l’exemple d’une servitude de vue, c’est-à-dire en respectant le fait que l’arbre est un « organisme vivant » ayant « une valeur environnementale significative ».
Enfin, la règle concernant le droit d'appuyer les espaliers sur un mur non mitoyen est conservée mais la formulation est légèrement simplifiée.
Article 672 du Code civil
Version actuelle
« Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.
Si les arbres meurent ou s'ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu'en observant les distances légales. »
Version modifiée
« Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes plantés à une distance inférieure à la distance légale soient réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent et selon les conditions prévues par la loi, sauf disposition réglementaire spécifique, titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.
Si les arbres meurent, sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu'en observant les distances légales.
Par acte authentique, des propriétaires voisins peuvent renoncer de manière synallagmatique à demander toute réduction de la hauteur des arbres ou l'arrachage des arbres voisins sauf en cas de danger avéré pour leur propriété ou la sécurité des personnes. La publicité foncière attachée audit acte le rendra alors opposable aux propriétaires futurs. »
Note
La mention « à une distance moindre que la distance légale » est simplifiée en « à une distance inférieure à la distance légale » pour clarifier la terminologie sans changer le sens.
La phrase initiale « soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée » est modifiée pour ne conserver que « soient réduits à la hauteur déterminée » afin de limiter les exigences possibles du voisin à la réduction de la hauteur des arbres uniquement, sans mentionner l'arrachage.
Dans le même sens, l’ajout de : « et selon les conditions prévues par la loi » après « hauteur déterminée dans l'article précédent » permet d’apporter une précision sur le fait que la réduction doit se faire en accord avec la législation en vigueur, soit implicitement de manière respectueuse du nouveau statut de l’arbre dans le Code civil.
Les exceptions liées aux dispositions réglementaires, au titre, à la destination du père de famille ou à la prescription trentenaire sont conservées sans changement.
Ici, nous tenons à expliquer les raisons pour lesquelles nous avons maintenu la référence « au père de famille ». Cette notion est en effet un principe juridique bien établi dans le droit français et représente un standard de comportement raisonnable et prudent que les individus doivent observer dans la gestion de leurs biens ou encore dans leurs relations avec autrui. En conservant cette référence, l'article continue dès lors de s'ancrer dans une tradition juridique qui valorise la responsabilité, la diligence mais aussi la prudence et de la responsabilité dans la gestion des arbres et des plantations. Cela permet tout autant de maintenir un principe de bonne foi et de respect mutuel dans les relations de voisinage, que d’établir un équilibre entre les droits des propriétaires et ceux des voisins. Par ailleurs, ce concept reste suffisamment souple pour permettre une interprétation adaptable aux circonstances spécifiques de chaque espèce et donc au Juge d’en tenir compte tout en s'appuyant sur un standard commun. Enfin, il nous semblait intéressant de maintenir une certaine cohérence avec d'autres articles du Code civil qui traitent de la responsabilité civile et de la gestion des biens pour contribuer à l'harmonisation de la législation et à la continuité des principes juridiques.
La règle selon laquelle le voisin ne peut remplacer les arbres morts, coupés ou arrachés qu'en respectant les distances légales est quant à elle conservée sans modification.
L’introduction d'un nouvel alinéa stipulant que « par acte authentique, des propriétaires voisins peuvent renoncer de manière synallagmatique à demander toute réduction de la hauteur des arbres ou l'arrachage des arbres voisins, sauf en cas de danger avéré pour leur propriété ou la sécurité des personnes » permet aux propriétaires de convenir contractuellement de renoncer à leur droit de demander des actions concernant les arbres, renforçant ainsi la flexibilité et la responsabilité entre voisins.
Il s'agit surtout d’introduire un régime supplétif de volonté, où les notaires pourraient d’ailleurs s’honorer de jouer un rôle indéniable et cohérent avec cette très pertinente proposition de leur 120e congrès, compte tenu du fait que les règles de distance ne soient pas reconnues comme d’ordre public (Cass. 3e civ., 13 juin 2012, n° 11-18.791 : Bull. civ. III, n° 96 ; Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 11-21.221 : Bull. civ. III, n° 44 ; Cass. 3e civ., QPC, 3 mars 2015, n° 14-40.051 : Bull. civ. III, n° 27) et qu’il y a là possibilité de faire primer l’intérêt de l’arbre sur un droit de propriété immobilier envisagé dans son essence comme imprescriptible et quasiment absolu sinon.
À cet égard, la mention « La publicité foncière attachée audit acte le rendra alors opposable aux propriétaires futurs » ajoutée in fine vient en tant que de besoin souligner que les renoncements sont opposables aux futurs propriétaires, renforçant ainsi la sécurité juridique des arrangements entre voisins mais aussi des arbres.
Liliane Ricco
Article 673 du Code civil
Version actuelle
« Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent.
Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative.
Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible. »
Version modifiée
« Les fruits tombés naturellement des branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux du voisin appartiennent à celui sur la propriété duquel ils tombent.
Même empiétant sur le fond voisin, la coupe des racines et l’élagage des branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux en limite de propriété sont subordonnés à la démonstration d’un danger ou d’un trouble anormal. En l’absence d’une telle preuve, la coupe des racines et l’élagage des branches sont strictement prohibés. »
Note
La disposition concernant les fruits tombés naturellement des branches d’arbres non mitoyens mais dont les branches dépassent sur le fond voisin est conservée et maintient les droits de propriété sur les fruits.
En revanche, la phrase « Celui sur la propriété duquel avancent les branches (...) peut contraindre celui-ci à les couper » est remplacée par « la coupe des racines et l’élagage des branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux en limite de propriété sont subordonnés à la démonstration d’un danger ou d’un trouble anormal ». Il s’agit d'introduire aussi clairement que strictement une condition rigoureuse pour la coupe des racines et l'élagage des branches, nécessitant la preuve d'un danger ou d'un trouble anormal, ce qui renforce indéniablement la protection des arbres et encadre le régime des servitudes légales d’éloignement.
La phrase « Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative » est complètement supprimée, dans la mesure où cela renforce l'élimination du droit automatique de couper les racines, ronces ou brindilles empiétant sur la propriété voisine et où la modification précédente nous apparaît en tout état suffisante.
En bonne logique, la mention « Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible » est également supprimée.
Dans le même sens, l'ajout de « En l’absence d’une telle preuve, la coupe des racines et l’élagage des branches sont strictement prohibés » impose une interdiction claire et forte sur la coupe et l'élagage sans justification, de manière à renforcer la protection des arbres en limitant les actions possibles à des cas rigoureusement justifiés.