Le divorce sans juge : entretien croisé avec M e Justine Meyer, notaire, et M e Florent Berdeaux, avocat

Ref : Defrénois 15 juill. 2022, n° DEF209c2, p. 12

Alors que l’on assiste depuis plusieurs années à un mouvement de déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille, nous vous proposons, en matière de « divorce sans juge », un retour d’expérience croisé entre Me Justine Meyer, notaire associée de l’étude 352 à Paris, et Me Florent Berdeaux, avocat au barreau de Paris et président de l'Association française des avocats de la famille et du patrimoine.

Quelles sont les bonnes pratiques à présent mises en place ?

F. B. La première des bonnes pratiques, c’est d’être spécialisé en droit de la famille. Je n’apprendrai rien à vos lecteurs qui, de ce seul fait, le sont déjà, mais on ne fait pas de divorce accessoirement à son activité d’agent d’artiste pour faire plaisir à son client lorsqu’on est avocat, et on ne traite pas de divorce non plus lorsqu’on est le notaire chargé du département fiscalité des entreprises de l’étude.

La deuxième, mais c’est un avis plus personnel, c’est de choisir ses partenaires : notaires et avocats sont assez nombreux pour que chacun sache avec qui il ou elle travaille intelligemment, en confiance.

Ensuite, la mise en place du « circuit court » est également source d’efficacité et de célérité ; les craintes que ce dernier signe une « soumission » de ceux qui se déplacent à celui qui reçoit sont, je crois, derrière nous… et ce d’autant plus que j’ai moi-même aussi bien reçu des notaires pour signer l’acte liquidatif au cabinet, qu’eu l’occasion de me déplacer pour signer la convention à l’étude.

Enfin, une pratique qui devrait se généraliser pour éviter d’avoir à se poser la question à chaque fois : faute d’accepter universellement qu’un délai de réflexion n’est pas un délai de procédure, et que, si le 15e jour est un dimanche, on peut signer le lundi, prévoir systématiquement 48h de battement entre le 15e jour et la signature… même si tout le monde est pressé de partir en vacances – ce qui est, bien souvent, l’unique critère d’urgence avancé par les intéressés… époux, notaires, ou avocats !

J. M. Je rejoins Florent Berdeaux sur le choix des partenaires, et plus particulièrement de partenaires spécialisés.

Ce n’est un secret pour personne que la rémunération du notaire dans le cadre du dépôt de la convention de divorce n’est pas bien élevée (49,44 € TTC) et certains avocats n’osent pas envoyer les conventions de divorce à déposer sans liquidation notariée à l’étude avec laquelle ils travaillent habituellement car ce n’est pas un dossier rémunérateur… Ils se retrouvent alors à adresser leurs conventions de divorce à des notaires qui ne sont pas spécialisés. Et pourtant c’est tellement mieux de travailler en confiance en suivant une procédure bien rôdée !

Certes, le notaire n’a qu’une mission de vérification formelle. Certes, il n’est pas bien rémunéré pour le faire… mais c’est quand même appréciable de pouvoir accomplir cette mission convenablement et sans engager notre responsabilité.

La bonne pratique à adopter pour les avocats est donc de bien vouloir adresser, préalablement à la purge du délai de réflexion, le projet de convention de divorce accompagné du contrat de mariage, des actes d’état civil et de la copie complète du livret de famille permettant de vérifier qu’il ne manque pas d’enfants.

Et la bonne pratique à adopter pour les notaires est de faire un retour aux avocats dans la semaine pour éviter que ces derniers n’envoient finalement les courriers recommandés avant d’avoir eu le visa du notaire.

Comment le déploiement du numérique influence-t-il ce domaine ?

F. B. Je ne sais pas si cela va réellement influencer la matière ou le déroulement du divorce, puisque l’arrivée tant attendue de l’acte d’avocat électronique n’empêchera pas qu’il faille le signer tous ensemble, au même endroit, conformément aux dispositions des articles 1145 du Code de procédure civile et 1175 du Code civil. En revanche, cela va surtout nous permettre de moderniser nos pratiques, la signature de dizaines de feuilles de papier étant devenue tout à fait anachronique, et d’accélérer encore un peu plus le processus, puisque la transmission au notaire pourra être instantanée. L’exigence de célérité est bien souvent l’une des priorités de nos clients.

J. M. Si la transmission au notaire peut être instantanée avec le processus électronique, il n’en demeure pas moins que la convention de divorce ne pourra être déposée au rang des minutes d’un notaire rapidement que si celui-ci a été mis en mesure de procéder aux vérifications formelles essentielles préalablement à l’envoi de la convention de divorce signée.

Le déploiement du numérique existe depuis longtemps chez les notaires et constitue effectivement un gain de temps en rendez-vous mais il faut redoubler de vigilance dans la préparation de l’acte et des annexes ; notamment, pour les courriers recommandés envoyés par la Poste, il sera important de scanner correctement les accusés de réception pour que l’on puisse vérifier sans difficulté la date de réception du recommandé. Peut-être pourrait-il être envisagé de continuer à envoyer une pochette au notaire avec les documents originaux et notamment les accusés de réception des courriers ?

Avez-vous un message particulier à transmettre à nos lecteurs ? 

F. B. Le divorce par consentement mutuel n’est pas uniquement un « divorce sans juge », il est un divorce par les époux, entourés des professionnels du droit. Si je pouvais prétendre faire passer un message à mes consœurs et confrères, je leur dirais que l’ultra-spécialisation en droit de la famille est la seule garantie de notre compétence et de la confiance que les époux, mais aussi le législateur, placent en nous. C’est l’excellence de la pratique qui continuera à nous rendre incontournables, et non la tentative d’évincer une concurrence hypothétique avec un autre professionnel avec lequel nous formons équipe. Quant aux notaires, une simple prière : lors du rendez-vous de signature qui, rappelons-le, peut se dérouler aussi bien dans vos études que dans nos cabinets (!), il serait préférable de ne pas accueillir les époux et leurs conseils en commençant par expliquer que le notaire « remplace le juge » ; c’est un peu irritant pour nos égos bien connus et assez inexact car ce qui remplace le juge, c’est aussi la présence désormais obligatoire du deuxième avocat, permettant d’assurer la recherche de l’équilibre que le juge ne vérifie plus. Avant, il y avait un contrôle judiciaire, maintenant, il y a un accompagnement juridique.

J. M. La liquidation n’est pas une option dans le cadre du divorce sans juge. Seuls des époux séparés de biens ayant gardé des patrimoines strictement séparés pourraient déclarer qu’il n’y a rien à liquider mais leur avez-vous bien demandé s’ils n’avaient pas pendant le mariage réglé des sommes pour le compte de leur conjoint, ce qui pourrait donner lieu à des créances entre époux et donc nécessiter une liquidation ?

S’agissant des époux mariés en communauté de biens, je suis toujours très étonnée qu’après 15 ans de vie commune, il n’existe aucuns fonds communs sur leurs comptes bancaires. Il est du rôle des professionnels du droit, et surtout du droit de la famille, de rappeler à ces époux que la liquidation d’une communauté est forcément exhaustive et qu’il est inconcevable sur le plan civil de déclarer que certains actifs communs ont été précédemment partagés ; cela constituerait une entrave au principe d’immutabilité du régime matrimonial.

(Propos recueillis par Liliane Ricco)

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