Le président Jean-François Humbert revient sur le groupe de travail relatif à la réserve héréditaire créé par la Chancellerie

Ref : Defrénois 18 avr. 2019, n° DEF148c9, p. 13

Romuald Meigneux

Pour faire suite à l’annonce de la garde des Sceaux de la création d’un groupe de travail sur la réserve héréditaire, pouvez-vous nous indiquer comment ce groupe a été constitué et quelle est sa feuille de route ?

Depuis près de deux années, plusieurs dossiers fortement médiatisés ont attiré l’attention des Français comme des pouvoirs publics sur cette institution ancienne qu’est la réserve héréditaire. Elle paraît avoir été redécouverte, alors que pourtant elle est familière de toute personne qui prépare sa succession. Tout a été dit à cette occasion, sur l’égalité qu’elle institue et qu’il est justifié de défendre, sur les solidarités familiales qu’elle préserve, sur son ancienneté qui souligne le caractère culturel qu’elle revêt et qui largement justifie notre attachement à son principe, sur l’universalité enfin qui la caractérise dans la mesure où la majorité des pays de la planète l’ont adoptée.

Plusieurs procédures actuellement en cours ont pu jeter un trouble, notamment lorsque la Cour de cassation paraît exclure qu’elle puisse ressortir de l’ordre public sans pour autant, et de manière surprenante, totalement l’écarter en faisant référence à la situation de fortune des enfants.

Pensant faire preuve de modernité, parce que l’institution est ancienne et serait donc désuète, certains en ont réclamé l’abrogation. Quelques-uns ont pu soutenir qu’elle serait un obstacle au développement de la philanthropie. À l’inverse d’autres ont pu rappeler tout l’intérêt qu’il y avait à éviter une réforme trop brutale, d’autant que nos concitoyens ont manifesté de diverses manières leur attachement à cette réserve héréditaire.

Devant ces réflexions qui démontrent que le débat est nécessaire, le directeur des affaires civiles et du Sceau a souhaité confier à des professionnels une mission de réflexion. C’est la raison pour laquelle il a entendu qu’un groupe de travail, coprésidé par un universitaire et par un notaire, réunissent des personnes d’horizons différents, y compris du ministère de l’Économie. Toutes les questions relatives à cette réserve y seront abordées, sans exclusive et sans écarter aucune explication. Si la suppression est une mesure simple, mais peut-être simpliste, s’interroger sur les bénéficiaires, le quantum, les biens susceptibles peut-être d’en être exclus du champ d’application, permet d’entamer une réflexion la plus large et la plus générale possible.

La réserve héréditaire a souvent évolué. La loi de 2006 a écarté les parents, mais introduit le conjoint parmi ses bénéficiaires. Elle a permis de son vivant de l’écarter, dans le cadre d’un pacte successoral. Il est donc raisonnable de se poser la question d’une évolution des règles dans le respect de notre perception du sens que nous attribuons à la famille.

Quelle est la position du CSN en matière de réserve héréditaire ?

Une mesure pure et simple de suppression du principe de la réserve héréditaire, comme le souhaiteraient quelques personnes, peu nombreuses, serait imprudente. La réserve garantit en effet le principe de l’égalité, l’une des principales valeurs de notre vie en société. C’est une règle qui assure la paix au sein des familles en évitant que certains enfants, plus proches, puissent être tentés de profiter de cette situation pour bénéficier de la succession future qui s’annonce. Enfin elle permet la protection contre la vulnérabilité des personnes âgées en fin de vie qui peuvent être influencées, dans certains cas, par leur entourage familial ou autre.

Il faut rappeler que la réserve héréditaire n’empêche pas de favoriser un ou plusieurs enfants ou des proches en attribuant la quotité disponible de sa succession aux personnes de son choix. D’autres dispositifs peuvent aussi être utilisés : l’assurance-vie sous certaines conditions, la renonciation à l’action en réduction.

L’institution de la réserve héréditaire peut néanmoins et évidemment être amenée à évoluer. Par exemple, la quotité réservée doit-elle nécessairement être fixe et identique, quelle que soit la fortune, son montant, sa composition ? Ne peut-on concevoir que passé un certain seuil la liberté de tester pourrait devenir la règle ? Que les donations consenties de son vivant à des œuvres ne puissent pas être contestées ? Ce ne sont que quelques exemples d’évolutions envisageables.

Le champ des modifications est vaste, mais celles–ci doivent se faire en concertation et ne pas répondre seulement à quelques cas, souvent davantage supposés que réels, où la réserve ferait obstacle à une volonté de générosité.

(Propos recueillis par Liliane Ricco)

Rédaction Lextenso

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