Les notaires et les empiétements

Brèves remarques sur la 3 e proposition de la 3 e commission du 114 e congrès des notaires de France

Ref : Defrénois 7 juin 2018, n° DEF137b3, p. 24

Le millésime 2018 du congrès des notaires de France fut excellent et toute son équipe peut être félicitée pour la qualité des travaux et l’accueil des participants. Preuve de cette qualité en est par l’adoption de la totalité des propositions faites par les commissions et ce malgré une météo un peu grise. Que dire alors de ce congrès ? Que le ciel est limpide dans les contrées notariales ? Nous n’irons pas jusque-là. Mais nous aimerions revenir sur une proposition : la 3e de la 3e commission. Pour quelles raisons ? Sans doute parce qu’elle a été adoptée avec moins de suffrages que les autres en suscitant des débats moins consensuels mais surtout parce qu’elle aurait accompli un miracle en réussissant à réconcilier le Notariat et les situations d’empiétement.

En effet, cette proposition qui visait à « la création, dans le Code civil, d’une servitude légale d’isolation permettant au propriétaire d’un bâtiment édifié en limite de propriété, n’ayant pas atteint la norme BBC, de procéder à des travaux d’isolation par l’extérieur avec emprise au sol ou aérienne sur le fonds voisin ». Pourquoi s’attarder sur cette proposition ? Parce que nécessairement, par son objet elle fait écho à la 2e proposition de la 1re commission du congrès de Nantes en 2016 sur la propriété immobilière. Cette proposition avait pour ambition, sous certaines conditions, que les empiétements minimes sur le fonds du voisin ne soient pas sanctionnés par la démolition de l’ouvrage. Sanction à maintes fois rappelée et maintenue sans nuance par la Cour de cassation : bonne foi ou mauvaise foi de l’auteur de l’empiètement (parmi une jurisprudence abondante : Cass. 3e civ., 21 déc. 2017, n° 16-25406, PB : JCP N 2018, p. 1190, obs. Destreguil M. – Cass. 3e civ., 15 déc. 2016, n° 16-40240, D : RTD civ. 2017, p. 423, obs. Dross W.). Malgré le ciel bleu légendaire de la région nantaise, cette proposition avait été refusée par le congrès. Sans doute, tolérer ces empiétements était une trop forte atteinte au droit de propriété pour les notaires, défenseurs infatigables de ce droit inviolable et sacré (sur cette proposition, Letellier F. : Defrénois 30 juin 2016, n° 123s4, p. 711et s., tout particulièrement p. 712 et s.).

En 2018, le Notariat en ayant admis « une servitude légale » d’empiétement sur tout un mur limitrophe pour poser une isolation par l’extérieur (environ 20 cm d’épaisseur sur toute la surface du mur, ce qui n’est pas rien, comme empiétement) baisserait il sa garde ? Certainement pas, l’intérêt est ici supérieur à la défense d’un droit privé car il s’agit de défendre notre environnement et la santé de notre planète. La construction en limite de propriété des bâtiments ne doit pas être un frein à l’amélioration de leurs performances énergétiques. Ce n’est finalement que sagesse. Le droit de propriété ne peut être utilisé n’importe comment, les propriétaires ont désormais le devoir de jouir de leurs biens sans mettre en péril l’intérêt supérieur qu’est la protection de l’environnement.

L’atteinte au droit de propriété que constituerait cet empiétement environnemental serait minime car il a été présenté par les rapporteurs comme étant temporaire, jusqu’à construction en limite de propriété par le propriétaire qui le supporte (il est évident que le coût de la dépose de cette isolation incomberait au propriétaire du bénéficiaire de ce droit d’isoler par l’extérieur), et que ce droit ne naîtrait qu’à défaut de convention organisant cet empiétement (à ce jour condamnée par la Cour de Cassation - v. infra- sauf création d’un état descriptif de division en volume).

Certes, le titulaire de ce droit d’empiéter chez le voisin fera, à titre privé, des économies sur ses factures d’énergie et en retirera un bénéfice individuel mais ce n’est pas ce qui compte ici.

Il devient urgent que le droit privé ne soit plus un obstacle à la mise aux normes énergétiques du parc immobilier national. Le caractère absolu et sacré du droit de propriété doit aujourd’hui, par la force des choses, s’incliner face à l’intérêt social et environnemental d’un niveau bien supérieur par nature. C’est en ce sens que cette proposition doit être approuvée (on pourrait peut-être hésiter pour le cas de la rénovation par un professionnel de l’ensemble d’un bâtiment…).

Sur le plan théorique en revanche, nous sommes un peu gênés par la qualification retenue, à savoir, celle de servitude (Letellier F., « Notion de servitude : le va et vient jurisprudentiel », JCP N 2014, p. 1384 ; Cevaër E., Davèze C., Guédé X. et Letellier F. « Servitude ou empiètement : une question de sécurité juridique » AJDI 2015 p.188). En effet, la Cour de Cassation par un arrêt de principe important du 1er avril 2009 (Cass. 3e civ., 1er avr. 2009, n° 08-11079 : Bull. civ. III, n° 77 ; JCP G 2009, p. 337, n°14, obs. Périnet-Marquet H.), à notre connaissance non remis en cause depuis, a bien catégoriquement refusé qu’une situation d’empiétement, même constatée dans une convention entre les propriétaires des deux fonds, puisse valablement constituer une servitude (« Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude ne peut conférer le droit d'empiéter sur la propriété d'autrui, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».). Il est vrai que si le droit actuel admet qu’une servitude puisse nécessairement impliquer une certaine exclusivité de jouissance, celle-ci ne peut être que minime (un tuyau, un câble d’alimentation, etc.) ; ici, l’empiétement est d’une autre taille.

Les catégories et les mécanismes juridiques sont aujourd’hui malmenés ; cela est regrettable car c’est l’ensemble de l’édifice juridique qui est menacé dans son harmonie et dans sa solidité.

Ne vaudrait-il pas mieux admettre de manière plus directe la qualification d’empiétement et dans ce cas le rendre purement et simplement licite en raison de l’intérêt général qu’il défend, son caractère proportionné, supplétif et temporaire ?

Cette consécration législative d’un empiétement licite permettrait peut-être à la Cour de cassation d’assouplir sa jurisprudence trop sévère sur les autres empiétements, en y incorporant une certaine dose de proportionnalité.

Rédaction Lextenso, François Letellier, docteur en droit

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