113 e congrès des notaires de France

M e Delorme, rapporteur général, revient sur la séance inaugurale

Ref : Defrénois 9 nov. 2017, n° DEF130j1, p. 11

« Les lois humaines et politiques ne peuvent toujours rester en l’état mais il les faut changer quelquefois, selon ce que le peuple est ».

C’est ce que déclarait Michel de l’Hospital dans un discours prononcé en 1561.

Celui dont Voltaire dira qu’il était « le plus grand homme de France », avait déjà perçu la nécessité pour le législateur d’appréhender les évolutions de la société.

C’est à l’étude de ces mutations, qui s’accélèrent depuis l’entrée dans le XXIe siècle, que notre congrès vous invite.

Une invitation à l’étude des mutations sociétales

Intimement liées à notre volonté personnelle, ces mutations s’expriment au travers de l’évolution de nos relations aux autres, de l’accroissement de notre espérance de vie, de notre environnement numérique en constante expansion.

C’est justement sur fond de progrès technologique que l’on voit émerger un courant de pensée dit « transhumaniste ».

Prônant une philosophie de liberté totale, il est une parfaite illustration de notre volonté individuelle.

Pour les existentialistes, l’expression de cette volonté réside dans la notion de choix. Il est central à l’existence humaine, il est inéluctable, ce qui fera dire à Jean-Paul Sartre que « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. Tel est le premier principe de l’existentialisme ».

Parce qu’il est libre de choisir sa propre voie, l’homme doit accepter le risque et la responsabilité inhérents à sa décision.

Bien qu’intrinsèquement créatrice de droit, la volonté individuelle ne peut pour autant être seule à gouverner nos actions. Elle doit s’inscrire dans un cadre global, dans un réseau de droits et d’obligations qui lui confère sa force obligatoire, ses effets de droit.

C’est la loi, elle est « l’expression de la volonté générale ».

Ainsi, en droit des contrats, des obligations s’imposent aux parties pour garantir un caractère équilibré à la convention. C’est dans ce contexte que la volonté individuelle s’exprime, « en un souci d’altérité et de générosité apte à rendre l’humain vraiment humain », comme l’a écrit le professeur Catherine Thibierge.

Mais l’expression de la volonté individuelle est parfois contrariée par la dépendance ou par l’âge, notamment chez nos aînés et chez les plus jeunes. Elle requiert alors d’être protégée.

La sécurité juridique, nécessaire pour préserver une société évoluant de façon stable, relève bien sûr de la loi, mais elle est aussi incarnée au quotidien par le juge et par le notaire.

En qualité d’officiers publics, les notaires assument de nombreuses missions au service de l’État. Ils sont les conseils désintéressés et impartiaux des parties, et notamment des plus vulnérables, dans une société où la place du contrat se fait toujours plus importante.

Ce rôle dévolu au notaire l’honore, et tend à s’accroître en raison du désengagement de l’État, dont le caractère protecteur décline.

Nous en ferons le constat avec les travaux de la première commission, consacrée aux familles.

#Familles

Comme le rappelleront Benoît Delesalle, Johanne Lotz et Nathalie Gessey, la famille du XXIe siècle est plurielle.

Une famille aux multiples facettes résultant du droit de chacun de tisser des liens, durables ou non, avec des conjoints, des enfants ou des parents.

Des familles dans lesquelles perdure le souhait de protéger autant que possible le conjoint survivant, et ce malgré la présence d’enfants d’une autre union.

La première commission présentera une mesure de nature à concilier les intérêts en présence.

Construire une nouvelle famille, c’est aussi résoudre de façon apaisée les différends inhérents à la précédente union. C’est l’esprit qui a gouverné à l’adoption de la loi réformant la procédure de divorce par consentement mutuel, restreignant considérablement le rôle du juge.

Cette réforme pose des difficultés d’interprétation quant à la mission de chacun des professionnels impliqués. Nous ferons des propositions afin de préciser les modalités d’application de ce texte, qui n’est pas par ailleurs sans soulever des questions en présence d’enfants mineurs.

Car s’il est des domaines où le notaire peut faciliter la tâche du magistrat, le contrôle de la volonté du mineur et sa protection doivent demeurer, selon nous, de la compétence du juge aux affaires familiales.

Parce que la place de l’enfant au sein de la famille est au cœur de nos travaux, nous avons également souhaité compléter la réforme de l’administration légale afin d’assouplir l’application de certains mécanismes très utiles en présence d’une famille recomposée.

C’est dans cet esprit également que nous évoquerons les récentes décisions rendues par la Cour de cassation en matière de gestation pour autrui.

Elles témoignent d’une situation, légale dans certains pays, qui n’est pas sans poser des problèmes d’ordre moral et juridique. Aussi avons-nous interrogé deux éminents spécialistes qui croiseront leurs regards de médecin et de juriste pour éveiller nos consciences sur ces questions qui concernent de plus en plus d’enfants.

Comme beaucoup d’autres, ces enfants vivent souvent dans des familles où ils côtoient au quotidien le nouveau conjoint de leur parent. Il nous est donc apparu nécessaire d’évoquer la question de la transmission par le « beau-parent ». Nous proposerons d’en assouplir les modalités et de rendre ainsi à l’adoption simple de l’enfant du conjoint légitimité et simplicité.

En ce domaine, l’État doit en effet pouvoir se recentrer sur ses missions principales, comme c’est le cas en matière de protection des majeurs incapables, ainsi que le montreront les travaux de la deuxième commission.

#Solidarités

Le vieillissement de la population constitue un enjeu démographique majeur pour les prochaines années et les solidarités vont nécessairement devoir être renforcées.

Mais, comme l’a dit un ancien Premier ministre, « L’État ne peut pas tout ».

Face à cette situation, Franck Vancleemput, Ludivine Fabre et Edouard Grimond soutiendront des propositions sur les thèmes de la dépendance physique, psychologique ou matérielle de nos aînés.

Les membres de la deuxième commission étudieront les dispositifs juridiques applicables en matière d’incapacité due au vieillissement.

Il convient tout d’abord de revenir sur l’habilitation familiale afin de clarifier ce mécanisme. Nous lui permettrons ainsi de remplir complètement le rôle qui lui fut assigné à sa création : celui de simplifier les démarches des proches d’une personne vulnérable.

Il faut ensuite revenir, avec un peu plus de recul cette fois, sur les difficultés pratiques liées au mandat de protection future ; lesquelles expliquent sans doute son succès relatif malgré son intérêt indéniable. Ces difficultés se rencontrent lors de la conclusion du mandat, mais aussi lors de sa mise en œuvre.

Il s’agit d’abord de difficultés de fond inhérentes aux pouvoirs du mandataire.

Elles sont d’autant plus importantes à résoudre quand on mesure la place que prennent la volonté individuelle et les mesures de protection conventionnelles en droit positif. La première chambre civile de la Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler dans une décision du 4 janvier dernier rendue à propos du mandat de protection future.

Mais ce sont aussi des questions de forme, ce qui implique d’évoquer plus largement la publicité des différentes mesures judiciaires ou conventionnelles de protection.

Le droit des incapacités est en effet devenu de plus en plus complexe, superposant les réformes.

Nos propositions tenteront d’apporter une plus grande efficacité à ces dispositifs.

S’il est un élément commun aux différentes mesures de protection, c’est la place accordée au logement. Il doit être un moyen de dégager des revenus complémentaires s’il l’on en optimise la propriété. Il constitue surtout le cadre de vie devant être préservé et aménagé. Une tentative de réhabilitation du prêt viager hypothécaire pourrait permettre de remplir ce double objectif.

Ainsi apparaîtra l’intérêt des objets connectés et des progrès de la technologie dans l’adaptation du logement.

#Numérique

Ce qui commence à être une évolution chez les personnes âgées est déjà une révolution chez les plus jeunes. Le numérique envahit en effet le quotidien et il est du devoir des notaires de s’intéresser aux problèmes qu’il soulève pour les clients ainsi qu’aux solutions qu’il apporte à leur pratique.

Là encore, le notariat doit poursuivre le travail engagé afin de simplifier celui de l’État, comme le démontreront Mathieu Fontaine et Sylvain Juillet, guidés par les très précieux conseils de Didier Froger.

Acteur d’un monde juridique sécurisé, le notariat a su organiser une stratégie numérique au service des particuliers et de l’État.

La troisième commission expliquera comment ces outils ont su évoluer en réunissant les éléments nécessaires à la signature d’une vente à distance, en conditions réelles.

Mais la révolution numérique ne fait que débuter. Le modèle déstructurant de la e-société impose à la profession de réfléchir à de nouveaux enjeux. C’est pourquoi nous avons choisi de partager, autour d’une table ronde, les perspectives d’évolution de la profession.

Cette révolution numérique pose aussi de nombreuses questions juridiques.

Nous ne pouvons plus, par exemple, ignorer les thématiques de protection de la vie privée ou de « mort numérique ».

La loi Lemaire vient d’entrer en vigueur et il reste des décrets d’application à adopter. Elle organise la dévolution des données par décès et permet de laisser, de son vivant, des directives applicables.

Quelles sont les données qui entrent dans le champ d’application de la loi ? Quels sont les droits des héritiers ? Et comment s’assurer que ces directives laissées par la personne seront conservées, révélées et respectées ?

Voilà autant de questions auxquelles nos propositions apporteront des réponses.

Ce sera aussi l’occasion de nous interroger sur la fameuse blockchain dont on parle tant !

Pour en mesurer les dangers, il est nécessaire d’en décrypter le fonctionnement. Ainsi il sera possible d’en évaluer les failles et d’en déterminer la vraie nature, qui n’est pas comparable à l’authenticité.

Cette technologie peut toutefois représenter une opportunité pour le notariat, ainsi que le montreront les travaux de cette commission, qui ne manqueront pas de susciter des réactions.

Car après le temps de l’écriture et de la réflexion s’ouvre maintenant pour l’équipe du 113e congrès le temps du débat.

“ L’équipe a tenu bon et amené le bateau du 113e sur les rives de la Deûle ”

Il m’est impossible de remercier, sous peine d’en oublier, toutes les personnes – universitaires, magistrats, confrères, permanents de l’ACNF – qui nous ont aidés dans la rédaction de l’ouvrage et la préparation des séances.

Je voudrais simplement adresser un salut amical et respectueux à Jacques Combret.

Je tiens également à témoigner mon immense admiration et mon infinie reconnaissance au professeur Sophie Gaudemet. Elle nous a accompagnés durant nos travaux avec compétence et bienveillance. Son rapport de synthèse suscite déjà curiosité et admiration.

En ce qui me concerne, j’ignore si mes épaules sont assez larges pour porter le costume que le président du 113e congrès m’a fait l’honneur de me confier. Ceux qui le connaissent constateront aisément qu’elles le sont moins que celles de mon prédécesseur à ce poste, François Devos, que je remercie de son indéfectible soutien.

Merci aussi et surtout au président Thierry Thomas de sa confiance et de la complicité avec laquelle nous avons travaillé pendant ces deux ans.

J’ai œuvré avec la passion de ce métier et avec une pensée fidèle pour ceux qui m’ont inoculé le virus des congrès. Je pense à Pierre-Jean Meyssan, à Marc-Henri Louvel et au regretté Jean-Pierre Ferret.

J’espère avoir réussi à transmettre ce virus aux membres de l’équipe dont c’est le premier congrès.

C’est un long chemin que celui d’une équipe de congrès et nous n’avons pas été épargnés, ni par le contexte professionnel, ni par les soucis techniques ! L’équipe a pourtant tenu bon et amené le bateau du 113e sur les rives de la Deûle.

J’ai été honoré d’en être l’animateur, et parfois le « censeur ».

Je suis fier du travail accompli et je sais que nos travaux démontreront que les notaires ont beaucoup à apporter et qu’ils sont au cœur et acteurs des mutations de notre société !

Rédaction Lextenso, Bernard Delorme, notaire à Cholet

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