Réforme de la formation notariale : comment a-t-on pu en arriver là ?

Ref : Defrénois 8 sept. 2022, n° DEF209t6, p. 5

La réforme de la formation des futurs notaires : arlésienne ou cheval de Troie (M. Mekki, « La réforme de la formation des futurs notaires : l’arlésienne ? », JCP N 2022, n° 35, Libres propos, 798) ?

Cette réforme est attendue depuis longtemps et le Notariat a souhaité l’organiser autour de la fusion des deux voies traditionnelles d’accès à la profession : la voie dite universitaire, qui s’appuie sur le DSN, et la voie dite professionnelle, qui repose sur une formation qualifiante sanctionnée par une diplomation professionnelle.

Ce choix lui appartient et l’Université est à ses côtés pour l’aider à mener à bien la réforme voulue. Mais dans le respect de son indépendance, qui est à l’enseignement supérieur ce que l’authenticité est au Notariat : son essence même ; dans celui d’une égalité statutaire dans la nouvelle architecture de la formation que commande cette indépendance ; dans celui, enfin, de la loyauté des négociations qui doit présider à toute discussion, de plus fort lorsqu’elle réunit des partenaires que n’unissent pas simplement des intérêts stratégiques mais une longue amitié basée sur des rapports de confiance tissés dans la défense commune de valeurs supérieures.

Or ces trois conditions d’une association de l’Université à la réforme ne sont plus réunies. Tout aussi grave : le texte qui est sur le point d’être adopté ne correspond absolument pas, pour ce que l’on en comprend, à ce que souhaite le Notariat lui-même. Un marché de dupes est sur le point de se nouer et on ne s’explique pas comment on a pu en arriver là.

Parce que nous sommes attachés au lien privilégié qui unit l’Université au Notariat, parce que nous croyons dans l’avenir d’une profession qui a en dépôt l’un des joyaux les plus précieux du droit français et continental, l’authenticité, parce que nous savons que la pérennité de son statut repose sur une formation d’excellence, parce que nous ne voulons pas qu’une réforme adoptée à la hussarde, non seulement fasse régresser le Notariat, mais le condamne à se dissoudre à terme en une grande profession du droit en sapant la première de ses bases, nous ne pouvons rester silencieux devant ce qui est en train de se jouer et nous appelons toutes les bonnes volontés à une prise de conscience et un sursaut.

Rappelons qu’en octobre 2019, un consensus avait été trouvé entre le CSN, l’INFN et les directeurs de Masters de droit notarial et de DSN sur ce que devaient être les lignes essentielles de la future réforme : transformation du Diplôme supérieur de notariat (DSN) en un Diplôme d’études supérieures de notariat (DESN) délivré par l’Université aux étudiants inscrits dans la voie désormais unique et ayant validé leur formation, accès de droit des étudiants diplômés d’un Master de droit notarial et sélection des autres à l’entrée avec des obligations de formation complémentaire, réécriture des conventions passées entre les universités et l’INFN, délivrance finale par l’INFN d’un certificat d’aptitude à la fonction de notaire aux candidats titulaires du DESN et ayant obtenu un module final dédié à la gestion de l’office, redéfinition des référentiels pédagogiques en concertation entre l’INFN et l’Université. Sur ces bases, un projet de décret, accompagné de projets d’arrêtés, a été transmis aux ministères de la Justice et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Toutefois, pendant plus de deux ans et demi, les autorités ministérielles, nous dit-on, ont laissé les choses en l’état avant que les discussions avec l’INFN ne soient enfin réactivées. Il faut dire qu’entre temps, le Covid était passé par là, ce qui modifiait l’ordre des priorités. Quoi qu’il en soit, des textes, entièrement réécrits par les ministères sur des points substantiels, ont alors été soumis à l’expertise de l’INFN (en mai ou juin 2022 d’après ce que l’on en sait). En aucune manière, les universitaires (autres que représentant l’INFN dans la négociation) n’ont été associés à ces discussions et il faudra qu’ils fassent preuve de la plus grande détermination pour obtenir finalement, le 11 juillet 2022, communication par l’INFN des textes ainsi réécrits et apprendre, à leur stupéfaction, qu’un projet de décret était soumis au Conseil d’État et sur le point d’être adopté, sans que ni eux-mêmes, ni la Conférence des Doyens, interlocuteur pourtant systématique du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, n’aient été simplement consultés ou même tenus informés d’une reprise des discussions sur des bases totalement renouvelées. Il leur est aujourd’hui expliqué que l’INFN a négocié en son seul nom, mais ils comprennent aussi que le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui en faisait une condition de la réforme, a cru de bonne foi que l’Université était associée aux discussions à raison du cumul de qualités, effectivement pour le moins inhabituel, de ses interlocuteurs.

Ce dysfonctionnement des procédures normales commanderait à lui seul que la discussion soit reprise dans un cadre plus régulier et respectueux des partenaires. Mais il n’est rien en comparaison du fond : tel qu’il leur en a été finalement donné connaissance, le projet de décret actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État prévoit une codélivrance du DESN par l’INFN et les universités ayant passé convention avec lui ainsi que l’exigence d’un avis conforme du directeur général de l’INFN pour la désignation des directeurs de DESN, pour s’en tenir aux innovations les plus difficilement imaginables. Il va sans dire que ces dispositions stupéfiantes en ce qu’elles heurtent de plein fouet l’indépendance de l’Université et son monopole de délivrance des diplômes au nom de l’État ne sont pas acceptables. Dans une tribune récente (« Formation, réforme et profession notariale » : DEF 25 août 2022, n° DEF209j7 ; JCP N n° 30-34, act. 770 ; SNH 27/22), Michel Grimaldi et Bernard Vareille, dont il n’est pas besoin de rappeler l’engagement universitaire aux côtés du Notariat, ont justement souligné les exigences élémentaires d’une réforme à la fois souhaitable et respectueuse de chacun des partenaires. On se permettra d’y renvoyer en espérant que les propos pleins de raison que le lecteur y trouvera seront heureusement entendus dans l’intérêt de chaque partie prenante avant qu’il ne soit trop tard.

Cela est pourtant loin d’être acquis et l’on a toute raison de craindre que l’emballement de la réforme ne la rende inarrêtable à la manière d’un train devenu fou. Dernier épisode en date : lors d’une toute récente réunion d’information organisée par le directeur de l’INFN, les directeurs de Masters de droit notarial et de DSN se sont vu expliquer que, pour le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, le DSN ne serait peut-être pas un diplôme d’État, ce qui justifierait à ses yeux la codélivrance du nouveau Diplôme d’enseignement supérieur de notariat qu’il aurait imposée, et il ressort des échanges que les négociateurs de l’INFN eux-mêmes n’excluraient pas qu’il puisse s’agir d’un simple diplôme d’établissement.

À ce stade, l’incompréhension et la stupéfaction font place à la sidération.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Le DSN est évidemment un diplôme spécifique : il n’a pas d’équivalent dans les autres professions ; de là la difficulté de le ranger dans les nomenclatures, difficulté que favorise la stratification normative. Quoi qu’il en soit, il a toujours été entendu, par tout le monde, qu’il est un diplôme d’État et c’est précisément l’une des grandes forces du Notariat qui est la seule profession du droit à pouvoir se prévaloir d’un tel diplôme. L’un des grands enjeux de la fusion des deux voies est de parvenir à conserver la diversité des profils à l’entrée, tout en appuyant la formation de tous les futurs notaires sur un diplôme unique. Veut-on un diplôme d’État délivré par l’Université en considération du statut d’officier public auquel il donne accès et de l’importance éminente et toute particulière de l’authenticité notariale dans le droit français ou bien une certification professionnelle codélivrée par l’INFN et des universités conventionnées ? Un choix est à faire à cet égard et, contrairement à ce qui avait été acté, le projet de décret, dans sa version actuelle, oriente dans la seconde direction en entretenant dangereusement la confusion. Pratiquement, il enterre à la sauvette une garantie institutionnelle qui, depuis 1973, est une spécificité majeure du Notariat que d’autres lui envient.

On ne peut croire que les instances professionnelles qui redisent régulièrement leur attachement au lien privilégié qui unit l’Université et le Notariat aient réellement conscience de cette évolution funeste qui fait un pas de plus en direction du rapprochement des professions. Car il est bien évident que la codiplomation que préconise le projet de décret dans son état actuel est transposable aux autres professions du droit qui n’ont pas le statut d’officier public et travaillent de concert avec l’Université à la certification professionnelle des accédants.

De toute évidence, une telle réforme n’est acceptable ni en la forme ni sur le fond. Pour personne. Le processus d’adoption du décret doit être suspendu avant qu’il ne soit trop tard et l’on ne concevrait pas qu’il puisse être poussé à son terme, dans ces conditions, avec pour seul bénéfice, la possibilité d’en faire état lors d’un prochain congrès des notaires de France.

Il ne s’agit évidemment pas de s’opposer à une réforme dont nous redisons qu’elle a notre soutien. Les modifications nécessaires ne sont pas difficiles à inscrire dans les textes, sans perdre le bénéfice des solutions sur lesquelles tout le monde s’accorde aujourd’hui : fusion des voies universitaire et professionnelle, reconfiguration des modules d’enseignement, accès de droit à la formation des titulaires d’un Master de droit notarial, sélection des autres à l’entrée, etc. Il est seulement nécessaire, mais absolument indispensable, de revenir sur les ajouts intempestifs et dispositions mal conçues qui ont totalement dénaturé le projet convenu. Ce qui peut se faire très rapidement sans retarder en rien l’entrée en vigueur de la réforme, puisque sa mise en application nécessite pratiquement l’adoption d’un arrêté pour lequel on nous promet une concertation.

À défaut de quoi chacun y perdra : le Notariat, l’Université, les promoteurs de la réforme qui auront à leur actif le triste bilan d’avoir activement contribué à la disparition d’un modèle qui dépasse de très loin les enjeux professionnels ou académiques.

Nous demandons donc instamment à nos autorités de tutelles, ministère de la Justice et ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de suspendre de toute urgence le processus d’adoption du décret pour donner aux textes une rédaction acceptable et conforme aux attentes que nous croyons être celles de chacun en invitant ceux qui le pensent, comme nous, à nous rejoindre par la signature de cette résolution.

Pour les notaires et universitaires qui souhaitent s’associer à cette Tribune :

https://docs.google.com/forms/d/1rTwHfJpvcq8-4PeRJjx9XKd8PQMv3BNLdlpmXXMBCm8/edit

Cette tribune est également publiée par la Semaine juridique (JCP N 2022, n° 36, act. 829) et Solution Notaire Hebdo (SNH 29/22).

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