Déficients visuels et pratique notariale : lever les craintes

Ref : Defrénois 22 juill. 2021, n° DEF202d5, p. 15

Sylvain Nivard, président de l'association Valentin Haüy, association au service des aveugles ou des mal-voyants, reconnue d'utilité publique depuis 1891, et Maître Jérôme Ader, notaire à Paris, reviennent pour nous sur les difficultés rencontrées par certains déficients visuels.

Quels sont les témoignages qui vous sont apportés ?

S. N. Très régulièrement notre association est consultée par un aveugle ou mal-voyant à propos des modalités de signature d'un acte notarié. Leurs témoignages sont contrastés.

Certains apprécient de se retrouver assistés par un second notaire ou deux témoins. C'est rassurant surtout pour ceux qui ne comprennent pas, ou ont peur de ne pas comprendre, les aspects juridiques. Cela peut prévenir des malentendus et éviter d'éventuels recours.

D'autres le vivent très mal, surtout lorsque cela leur est imposé. Ils trouvent que c'est infantilisant et que cette situation constitue une discrimination qui nie leur capacité à être intégré dans notre société. S'ils ont la capacité à travailler, puis à s'acheter un bien avec l'argent qu'ils ont gagné, pourquoi leur refuse-t-on celle de signer l'acte d'achat de leur logement ?

En fait, le critère de la capacité à signer n'est probablement pas le bon. L'immense majorité des déficients visuels peut signer. D'ailleurs, si le notaire ne demande pratiquement jamais à son client s'il peut signer, avant de lui imposer deux témoins, c'est que là n'est pas la véritable motivation.

De même que certains déficients visuels ne sont pas à l'aise avec la matière juridique, certains notaires ne sont pas à l'aise avec le handicap visuel qui est méconnu et fait peur. Il faudrait que chacun prenne le temps d'expliquer à l'autre ses contraintes et ses besoins ; mais à l'heure où tout le monde est pressé et où tout se fait par internet, les rendez-vous préalables à une signature se font rares.

Ceci dit, internet et les nouvelles technologies sont aussi une opportunité. De nombreux déficients visuels savent utiliser un ordinateur. Envoyer, en amont d'une signature, un projet d'acte dans un format de fichier convenu, permet au déficient visuel de le lire tranquillement chez lui, voire, si son matériel est portable, de suivre pendant la séance de signature à l'étude.

L'interdiction de signer l'acte notarié et le recours à un second notaire ou à deux témoins instrumentaires sont-ils justifiés ?

J. D. L'article 9, 3°, de la loi du 25 ventôse an XI dispose que « les actes dans lesquels les parties ou l'une d'elles ne sauront ou ne pourront signer seront soumis à la signature d'un second notaire ou de deux témoins ».

Les personnes privées de l'usage de la vue n’ont pas la possibilité de prendre connaissance de l’acte en utilisant les mêmes moyens que les autres personnes mais, dans la mesure où elles peuvent signer, leur situation ne relève pas directement des formalités protectrices des dispositions précitées. Ainsi, aucune difficulté ne devrait se présenter puisque l'acte leur est lu par le notaire et qu'elles peuvent s'exprimer sans problème, avant d’apposer leur signature.

Par ailleurs, un envoi préalable du projet d’acte – pratique qui se systématise – en particulier à la partie à l’acte souffrant de déficience visuelle lui permettra de se faire lire attentivement ce projet par une personne de son entourage.

Elle pourra aussi avoir recours à l'écriture braille ou, si elle ne pratique pas le braille, de prendre connaissance de l'acte au moyen d'une « machine à lire » qui, après avoir scanné l'acte, le restitue sous forme vocale (P. Chazal, J.-P. Schricke, « Le consentement de l'aveugle » : JCP N 2001, n° 24, p. 1020), ainsi que le rappelait le président Nivard.

Tout ceci a en outre été clairement précisé dans un article récent de votre Revue (G. Raoul-Cormeil, « Le notaire face aux personnes majeures en situation de handicap » : Defrénois 17 juin 2021, n° 201c8, p. 15).

Enfin, je rappelle qu'il convient de préciser dans la comparution du client qu'il est non-voyant mais qu'il a clairement expliqué au notaire rédacteur ses intentions et qu'il a déclaré parfaitement comprendre les termes du présent acte.

Quel message commun souhaitez-vous adresser à nos lecteurs ?

S. N. Il est utile de proposer à un déficient visuel d'être assisté, surtout s'il s'agit d'un client que l'on ne connaît pas.

Cependant, il n'y a pas de raison de l'imposer sans avoir pris le temps de faire connaissance et d'évaluer, à l'instar de ce qui se pratique pour les autres clients, sa capacité à comprendre ce qu'il signe.

Nous encourageons les notaires à explorer la piste de la transmission en amont du projet d'acte mais, attention, certains formats de fichiers ne sont pas accessibles aux logiciels de lecture d'écran utilisés par les déficients visuels. Il convient donc de privilégier les traitements de texte type Word ou html.

J. D. Je n'ai rien à rajouter aux propos du président Nivard.

En fait, seuls certains non-voyants, lorsqu'ils le sont de naissance, ne peuvent pas signer l'acte parce qu'ils n'ont pas appris à écrire. C'est donc dans ce cas que l'intervention d'un second notaire ou de deux témoins sera nécessaire.

(Propos recueillis par Liliane Ricco)

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