Note de conjoncture immobilière des notaires : vers l'incertitude

Ref : Defrénois 30 avr. 2020, n° DEF159q8, p. 16

Conséquence de l’état d’urgence sanitaire, l’arrêt quasi instantané des activités immobilières marque une situation tout à fait inédite. Pour la première fois, la machine s’est brutalement mise en pause, alors qu’elle affichait un dynamisme incontesté, avec des progressions à deux chiffres fin 2019 et début 2020.

Dans l’ancien, le volume de transactions caracolait à + 11 % pour l’année 2019 et affichait le même rythme de progression au 31 janvier 2020, pour atteindre 1 076 000 mutations avec des prix globalement orientés à la hausse, en Île-de-France comme en province.

Au 4e trimestre 2019, l’augmentation s’accélérait même (+ 1,3 % par rapport au 3e trimestre 2019).

Sur un an, la hausse des prix s’accentue également (+ 3,7 %). Comme observé depuis fin 2016, elle est plus marquée pour les appartements (+ 5,2 %) que pour les maisons (+ 2,6 %).

Quel est l’état actuel du fonctionnement du marché immobilier ?

Les notaires ont suivi les instructions données par les pouvoirs publics. La quasi-totalité des offices sont toujours en capacité de recevoir des actes et ont mis en place des procédures permettant, autant que possible, de régulariser en l’absence physique des clients (et des collaborateurs, massivement en télétravail).

Le système fonctionne, en mode dégradé certes, mais il fonctionne. En tout état de cause, s’il est fonctionnel, il doit aussi faire face à la défaillance de plusieurs interlocuteurs nécessaires à la perfection d’un acte, qui cherchent encore à s’adapter à cette situation exceptionnelle. Gageons, à ce titre, que le dispositif tout récemment mis en œuvre autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire contribuera à améliorer la situation, en rendant désormais possible la régularisation de certains actes à distance comme les ventes en l’état futur d’achèvement, les donations, les prêts hypothécaires, le consentement à adoption… (D. n° 2020-395, 3 avr. 2020 : Defrénois 9 avr. 2020, n° 159k2, p. 5 ; Defrénois 9 avr. 2020, n° 159j2, p. 19, note Grimaldi M., Gijsbers C. et Reynis B.).

Les perspectives de reprise

Les mesures de confinement généralisé pour la quasi-totalité des Français et des secteurs de l’économie, aussi subites qu’inédites, ont évidemment eu des conséquences immédiates sur le marché des transactions immobilières. Les perspectives de reprise sont hypothétiques et dépendent de l’issue du seul combat prioritaire actuellement : la lutte contre le virus.

À court terme. L’annonce de la fin des mesures de confinement devrait sans doute provoquer, dans les premières semaines, une mécanique de rattrapage dû à un effet de report. Il s’agira de régulariser l’ensemble des actes concernés par ce décalage conjoncturel (essentiellement sur le second trimestre) dont le cours a été stoppé du fait du confinement. Cela demeure une hypothèse qui reste conditionnée à une remise en marche simultanée de tous les acteurs de la chaîne immobilière.

À moyen terme. Cet effet mécanique de report n’effacera pas les séquelles, inéluctables et brutales, de l’arrêt quasi-total de l’activité immobilière pendant de longues semaines. Le trou d’air que nous traversons actuellement, au stade des difficultés engendrées par la crise sanitaire dans la régularisation des actes, se reproduira naturellement dans les deux/trois mois qui suivront, au regard de l’inertie et des délais naturels du marché immobilier.

Cet état sera vraisemblablement accentué par le fait que la période actuelle est d’habitude particulièrement active, pour des raisons saisonnières. L’été à venir devrait donc refléter mécaniquement une tendance plus faible en volumes de transactions.

À long terme. Quelles pourraient être l’orientation et la résilience des paramètres propres au marché immobilier, jusqu’alors plutôt engageants, à l’aune d’un contexte économique global très fortement ralenti, tant en France qu’à l’international, par un virus planétaire pour lequel aucun vaccin n’a été trouvé à ce jour ?

S’il faut s’attendre à une forte récession économique, le marché immobilier pourrait commencer à repartir en fin d’année 2020, voire au début de l’année 2021, mais pas avec le même dynamisme qu’en 2019. L’immobilier inspire la confiance d’un marché essentiellement destiné à des utilisateurs et qui répond à un besoin réel. Ce besoin est peut-être même, paradoxalement, exacerbé par ce que nous sommes en train de traverser : l’importance du toit, en ces jours si particuliers, est renforcée.

En comparaison avec la crise bancaire et financière de 2008-2009, même si la crise actuelle n’est pas directement liée à des dérèglements de l’économie, les capacités d’achat des ménages et les conditions de financement sont meilleures. La BCE a d’ores et déjà annoncé un plan d’urgence massif pour tenter de contenir les répercussions sur l’économie et le gouvernement français, par son prêt garanti, cherche à éviter aux banques de supporter le coût de la crise. Néanmoins, il est à craindre que celles-ci, confortées dans cette posture par les préconisations à l’automne du Haut Conseil de stabilité financière, resserrent leurs conditions de crédit et réévaluent les dossiers les moins solides, notamment ceux des primo-accédants.

Cette demande structurelle demeure par ailleurs portée par des taux d’intérêt qui restent très attractifs : le taux d’intérêt moyen des crédits nouveaux à l’habitat se stabilise à son plus bas seuil historique (1,17 %, après 9 mois consécutifs de baisse). Les OAT (« emprunts d’État ») à 10 ans, qui orientent la direction des taux des crédits immobiliers, sont également à un niveau exceptionnellement bas (0,18 % au 26 mars 2020).

L’immobilier reste une valeur refuge face aux autres placements, notamment les marchés boursiers, qui ont connu depuis le début de l’année 2020 une très forte volatilité puis une chute extrêmement brutale. Si l’ensemble de ces critères témoignent de la confiance du public et des investisseurs à l’égard de l’immobilier, que vaudront-ils face à la défiance que pourrait susciter, dans l’inconscient collectif, une reprise « molle » ? Qui peut dès à présent mesurer l’impact d’une crise économique dont les premiers effets ne sont encore ni quantifiés ni quantifiables à ce jour ? Que vaudra la confiance des ménages et des institutionnels dans l’immobilier, face à une crise sanitaire qui sera d’autant plus anxiogène que durable ? Il est déjà probable que des candidats à l’acquisition vont sortir, malgré eux, du marché immobilier, compte tenu des effets collatéraux de la crise sanitaire.

Les défaillances d’entreprises s’annoncent nombreuses, ce qui induira des pertes d’emplois. Certains territoires risquent également de voir leur tissu socio-économique totalement bouleversé. Certaines catégories professionnelles reviendront-elles sur le marché immobilier ? Cela est peu probable avant plusieurs mois. Un manque de confiance dans le long terme incitera plus ou moins consciemment un certain panel d’acquéreurs à différer leur intention d’achat, l’investissement immobilier étant, pour beaucoup, un engagement (et un financement) de longue haleine.

Les scénarios possibles

La capacité de rebond du marché immobilier dépendra des scénarios de reprise à la suite de cette crise inédite.

Scénario 1 : l’épisode que nous traversons demeure relativement contenu dans le temps et son ampleur. La France et l’Europe mettent en œuvre les moyens de gérer l’importante dette publique.

Le confinement est limité dans le temps sans seconde crise sanitaire, une réponse médicale est apportée et l’absence de saisonnalité du virus est ainsi neutralisée : 

  • le scénario de reprise de l’immobilier ne sera alors pas forcément celui du pire. La machine pourrait assez vite reprendre un rythme de croisière, certes affaibli mais en restant relativement dynamique. Les paramètres immobiliers fondamentaux demeurant stables, tous autres éléments comparables par ailleurs, le marché subira vraisemblablement un effet de correction, à court terme, puis pourrait rebondir, car il demeure sain et non spéculatif, notamment face à la déroute des marchés financiers. Ces ajustements pourraient d’ailleurs apporter quelque apaisement, dans les secteurs particulièrement tendus ces derniers mois/années ;

  • des effets de corrections géographiques ne sont pas à exclure. Le recours massif au télétravail et la mise en œuvre de moyens de communication efficaces créent de nouveaux besoins. Aussi, 17 % des Franciliens ont quitté leur résidence pour rejoindre des lieux de confinement plus adaptés, plus grands et dotés d’espaces verts. Conjugué à l’accélération du télétravail, certains citadins pourraient opter pour un immobilier vert, de protection. Mais ces besoins sont décorrélés des circonstances macroéconomiques actuelles qui impacteront durablement l’économie française.

Scénario 2 : le confinement se prolonge ou se réitère sans réponse médicale garantissant l’absence d’un retour de pandémie. La crise prendrait une autre ampleur, provoquant un chômage important, une baisse des revenus des ménages, une croissance en berne. Mécaniquement, le volume de transactions puis les prix seraient en baisse significative, en « reflet » de la crise économique succédant à la crise sanitaire.

Face à ce scénario anxiogène, il est capital, en immobilier comme ailleurs, que les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour préserver l’emploi et permettre la reprise de toute activité économique, en tenant compte des conditions sanitaires. C’est la position officielle affichée au plus haut niveau de l’État. Cette prise en charge doit rassurer dans le contexte inédit que nous traversons.

Plus la crise sanitaire durera, plus l’économie sera mise à mal et les fondamentaux positifs du marché immobilier mis à rude épreuve. Ils ne pourront limiter les effets de correction du marché que si la crise sanitaire ne retourne pas la situation économique sur le long terme.

(Notaires de France, Note de conjoncture immobilière n° 47, avr. 2020)

Rédaction Lextenso

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