Du coronavirus au notaire sans contact

Ref : Defrénois 19 mars 2020, n° DEF158m9, p. 11

Le COVID-19 vide les stades, confine un pays entier et affole les médias : le notariat ne peut pas y rester indifférent. Reposant sur le contact humain, sur l'expression des volontés de plusieurs personnes, l'art notarial est forcément impacté. Et, de fait, il ne se passe plus une journée sans que l'un ou l'autre des intervenants invités à un rendez-vous notarial ne remette en cause la légitimité de telles réunions dont la dimension physique n'est pas en phase avec les précautions hygiéniques de lutte contre l'épidémie. D’ailleurs, nombre d’autres professions réduisent ou suspendent les réunions physiques. Brutalement, la phase essentielle de l'établissement de l’acte notarié qui trône au sommet de la pyramide du droit écrit – la comparution – devient médicalement inopportune.

C’est du jamais vu quant à la cause, mais, en matière de conséquence, ce n'est pas la première fois dans l'histoire qu’il se révèle une défaillance dans le système de l'écrit. Platon lui-même préférant l'échange verbal bien plutôt que l'écrit avait emprunté la forme du dialogue pour laisser ses idées à la postérité (je remercie Pierre Tarrade, notaire à Paris, de me l'avoir signalé). C'est ainsi à la manière d’un dialogue socratique que l'on peut présenter cette nouvelle phase d'une dialectique écrit/verbal au sein de l’univers des instruments du droit. Au lieu d’un échange entre Socrate et Phèdre, il s’agira plutôt d’un dialogue entre un universitaire et un notaire :

« Maintenant, si tu le veux bien Notaire, parlons d'une dimension centrale de ton métier : la comparution.

J'approuve ton choix ô Professeur : la comparution est le moyen privilégié pour s'assurer de l'identité, de la capacité et du consentement de celui ou celle qui s'oblige ; autant de préalables indispensables à une authentification incontestable.

Oui, le rôle principal du notaire étant de délivrer des instruments juridiques faisant foi d'eux-mêmes, y compris pour contraindre la partie défaillante, il faut veiller à ce qu'aucun défaut n'entache la relation d'équivalence entre la volonté exprimée et l'acte qui en fait l'objet.

Nulle conteste à cette vérité, Professeur.

Alors, cher et bienveillant Notaire, n'y a-t-il pas, attendu l'importance de la comparution pour ton art de l'authentification, quelques difficultés de mises en œuvre au gré de l'évolution de notre société ?

Il est certain, Professeur, que la comparution pose de plus en plus de problèmes et son défaut tout autant !

Peux-tu préciser ta pensée, Notaire, et la rendre mieux accessible aux profanes ?

Certes oui, Professeur ! La comparution pour un acte unilatéral s'entend de la présence du notaire avec la personne qui s'engage. Mais, pour peu que les formes dudit acte requièrent celle d'un tiers (comme dans le cas du testament) ou que l'acte soit synallagmatique (commandant la présence d'au moins deux parties), c'est la disponibilité et le déplacement de plusieurs personnes qui doivent être combinés sur les mêmes temps et lieu ! Et la chose est compliquée.

Je comprends que la comparution, aux vertus si grandes, est, factuellement, d'une mise en œuvre difficile pour combiner les agendas, les déplacements et leur durée et, ce, d'autant plus crucialement que le nombre de personnes requises s'accroît.

Tu es dans le juste, Professeur.

Mais, n'existe-t-il pas des techniques pour faciliter la présence centralisée et simultanée de l’ensemble des parties autour du notaire ?

Pour la « faciliter », il faudrait pouvoir agir sur le temps ou sur l'espace, ce qui n'est pas du domaine de l'humain... Certes, la technique est en cours de probation à l’initiative du CSN pour faire des actes à distance entre notaires qui recevraient chacun leurs clients ou pour mettre en place une identification numérique du client distant afin qu’il soit réputé en présence du notaire dans un espace virtuel commun ; mais cela n’est-il pas reculer pour mieux sauter ? Il faudra être en contact avec le notaire équipé du système d’acte à distance ou bien s’identifier à lui de façon sécurisée à l’issue d’un processus comportant aussi déplacement et mise en présence (et pour le client distant, le décret ministériel est depuis longtemps attendu).

J'en conviens, ami Notaire ! Aussi, plutôt que de faciliter, des moyens ne permettent-ils pas d’obvier à la comparution ?

Certes oui, Professeur. Depuis le début de l'Humanité, l'homme a cherché des astuces pour rendre proche ce qui est distant et concomitant ce qui est différé. Les fictions du droit, habituelles aux juristes, ont cette fonction.

Ces fictions m’intriguent, Notaire, peux-tu m’en parler plus concrètement ?

Tu les connais mieux que moi, ô Professeur : dans le présent cas, on trouve la procuration, dont l’article 1985 du Code civil fixe le régime au titre du mandat. Deux types bien connus existent. Le pouvoir authentique, reçu par comparution devant le notaire ; mais cette comparution, pour ses vertus, recèle les inconvénients de déplacement, disponibilité et contact que les temps nous obligent à regarder avec réprobation à raison de la pollution, de la surconsommation de temps et des risques de contagion. Il y a aussi le pouvoir « sous seing privé » qui commande, pour les besoins de l’authentification, une certification de signature par mairie ou notaire ; outre les mêmes inconvénients que le pouvoir notarié, celui-ci recèle en plus l’absence de contrôle de capacité ou de consentement, qui rend tout notaire inquiet de cette solution de continuité dans la chaîne authentificatrice.

Tes justes observations m’inquiètent, Notaire ; il faut bien concilier les besoins collectifs en matière de sécurité et les besoins privés en cette matière juridique dont l’objet est de définir les limites fondamentales de notre liberté individuelle !

C’est toi qui m’a interrogé, ô Professeur ! L’ensemble de mes confrères et moi-même sommes conscients de la difficulté que je te dévoile où les principes sont en contradiction avec la réalité. Mais j’augure, Professeur, que si tu m’as interrogé sur le sujet, c’est que tu n’es pas ignorant de quelque issue…

Ah, cher Notaire, ta sagacité t’honore. Oui, j’ai quelque idée dont je pense que la pratique pourrait y trouver remède. Tu n’ignores pas que l’article 1985 dispose que le mandat peut être donné verbalement.

Certes non, ô Professeur. Mais ledit article renvoie, en tel cas, à la preuve testimoniale dont la mise en œuvre, en 1804 comme aujourd’hui, n’est pas aisée.

Mais, la question testimoniale ne peut-elle pas être revisitée à l’aune des progrès de la technologie ? Car, en effet, lorsqu’un client enregistre, sur support numérique, une vidéo le montrant en train de prononcer un discours qui contient l’énoncé de ses volontés, as-tu des raisons de douter qu’il est capable et sincère ?

Je n’en doute nullement, ô Professeur ! Et quand bien même j’aurais des raisons de douter, j’en aurais beaucoup moins que de douter de la même disposition simplement signée par lui sur un papier préparé par mes soins et dont j’ignore s’il l’a lu et compris.

Je vois que ton esprit est porté vers le progrès, mon cher Notaire !

Je t’en remercie, ô Professeur, mais si j’en reviens au droit strict, ne doit-on pas considérer que le fond, qui permet à la volonté humaine de s’exprimer, est largement ouvert, tandis que la preuve, qui conduit à des contraintes de la liberté individuelle, est strictement encadrée ? Or si le mandat verbal est prévu par le Code civil, sa preuve est renvoyée au témoignage et je n’en vois pas de trace dans un enregistrement vidéo… Peut-on admettre une preuve par vidéo si elle n’est pas prévue par un texte ?

Ami Notaire, crois-tu que si toi, notaire, tu visionnes une vidéo du mandant comme contenant une disposition de mandat, quelqu’un aura un doute suffisant pour remettre en cause ton constat de notaire doté de la force de l’inscription de faux ?

Nul doute pour moi, ô Professeur ! Il est vrai que pour le testament authentique, on doit recourir à deux témoins ou à un notaire. Mais tant que la loi ou la jurisprudence n’a pas tranché pour le cas de la vidéo attestée par notaire… ?

N’as-tu pas confiance en l’Université, cher Notaire ? Comment une pratique notariale, servant à la résolution de problèmes sociaux (la contagion épidémique) tout en améliorant l’expression de la personnalité juridique (le renforcement du contrôle de la capacité et du consentement) ne pourrait-elle pas avoir les faveurs des universitaires qui augurent et conceptualisent l’avenir, précédant ainsi la sagesse juridictionnelle ?

Pardon pour mon défaut de foi, ô Professeur, je me range à ton avis et ne vois aucun obstacle à utiliser des enregistrements vidéos faits par des clients, validés par moi comme mandat verbal, afin d’en annexer la certification à mes actes et d’en conserver la trace en mémoire sur des disques durs.

Je m’en réjouis et crois sincèrement, cher ami Notaire, que nous avons, par le présent dialogue, donné une solution aux problèmes du temps. Sois-en remercié et assuré que je donnerai toute mon autorité à faire pencher le fléau du bon côté ! »

Etienne Dubuisson, notaire à Brantôme-en-Périgord

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