Journée internationale des droits des femmes : quelle vision du notariat ?

Ref : Defrénois 5 mars 2020, n° DEF157p3, p. 22

À l'occasion du 8 mars 2020, qui célèbre la Journée internationale des droits des femmes, la Rédaction – exclusivement féminine – du Defrénois a souhaité donner la parole à trois femmes qui illustrent le parcours vers la fonction de notaire :

  • Jézabel Jannot, directrice pédagogique de l'Institut national des formations notariales (INFN) ;

  • Margaux Richely, étudiante (diplôme supérieur du notariat) ;

  • et Sophie Bat, notaire créatrice à Versailles.

C'est sans attendre le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie, qui doit voir le jour au printemps à la suite de la consultation lancée le 3 décembre dernier par Marlène Schiappa et Bruno Le Maire, que le notariat s'est saisi de cette question.

En effet, au cours de l'Assemblée générale, qui s'est tenue en octobre 2018, Jean-François Humbert a été élu président du Conseil supérieur du notariat (CSN) avec, comme ligne force de son programme, « Promouvoir l’identité notariale ». Et c'est bien à une identité mixte et paritaire que le président s'est attaché, en assurant une égalité femme/homme au sein de son bureau et en déclarant qu'il n'obéissait pas là à une logique de quota mais au désir de s'entourer de personnes compétentes et mobilisées, qualités trouvées à parts égales chez les membres de son bureau (Defrénois 2 nov. 2018, n° 141z0, p. 15).

Voyez-vous, en votre qualité de directrice pédagogique de l'INFN, un impact de la féminisation de la profession sur la formation notariale ?

J. Jannot. Le constat de la féminisation de la profession n’a pas conduit, au niveau de l’INFN, à la mise en œuvre d’une politique spécifique ou même de recommandations quelconques qui participeraient d’une volonté de réagir à l’encontre de cette évolution. Concrètement, la représentation importante des femmes, que l’on observe désormais dans le notariat, ne doit pas mener selon moi à ce que le critère du genre entre en ligne de compte en termes d’accès à la formation. Dans les filières sélectives notamment, ce critère ne saurait à mon sens être utilisé comme variable d’ajustement du critère des compétences, dans le processus de décision pour retenir un dossier de candidature plutôt qu’un autre – sauf à être discriminatoire positivement ou négativement, ce qui reste toujours de la discrimination quoi qu’il en soit.

En ce qui concerne non plus la question de l’accès à la formation mais celle de l’offre ou du contenu de cette dernière, il faut distinguer deux aspects : en premier lieu, s’agissant de la formation sur les matières juridiques, il n’y a (fort heureusement…) aucun impact de la féminisation de la profession et aucune hiérarchisation genrée des savoirs. Notre mission est de former des « cerveaux de juristes » en droit notarial ; la seule boussole qui vaille est ici de veiller à proposer des formations de qualité, tant sur le fond que sur le terrain des méthodes pédagogiques où il faut savoir faire preuve d’innovation. Mais notre mission ne se résume pas à cela, car le métier de notaire ou de collaborateur ne se réduit évidemment pas à être un très bon technicien du droit : il faut aussi former les étudiants aux techniques de management et de gouvernance, aux « soft skills », aux « humanités notariales », qui constituent justement des axes forts du projet de réforme des formations notariales.

À cet égard et en second lieu, dans ce volet « non juridique » de la formation,  il y a au contraire une prise en compte de la féminisation de la profession et du constat d’inégalités réelles persistantes  (« plafond de verre » ; modèle d’organisation qui reste ségrégatif dès lors qu’il demeure une sous-représentation des femmes dans le nombre de notaires installés, ou plus largement à mesure que l’on gravit les échelons de carrière vers des postes à forte responsabilité au sein des offices ou au sein des instances représentatives de la profession) : l’école de formation aux métiers du notariat est la porte d’entrée de la profession ; cette position en amont est une position privilégiée pour permettre de faire évoluer les mentalités, en offrant la possibilité d’une réflexion et de formations sur les causes structurelles de ces phénomènes.

J’ai peut-être une vision idéaliste des choses, mais nous formons les notaires et les collaborateurs de demain, et les jeunes générations d’étudiants aspirent à être les artisans de nouveaux modèles d’organisation des métiers et des carrières au sein de la profession. Notre offre de formation doit répondre à ces aspirations. Voyez précisément, à titre d’exemple, la « journée citoyenne » que l’INFN organise le 9 mars prochain, avec le partenariat de la Chambre des notaires de Paris, sur le thème de « La place des femmes dans les métiers du droit » (Pour plus d’informations sur cette journée : https://www.infn.fr/evenements/place-femmes-metiers-droit/. L’entrée est libre sur simple inscription en ligne).

Constatez-vous une ambition identique entre les étudiantes et les étudiants ?

M. Richely. Au premier abord, je vous répondrais sans aucun doute par la positive : mes camarades et moi-même avons l'ambition commune d'être, un jour, nommés notaires par le garde des Sceaux.

Au-delà de cette banalité, je dirais que j'observe des différences de projets, et non d'ambitions, entre mes camarades, mais qui sont, selon moi, fondées sur la dualité de cette profession.

En effet, le notaire, titulaire de son office notarial ou associé de la structure qui le détient, est, non seulement et tout d'abord, un excellent juriste, mais également un chef d'entreprise. Chacun est plus ou moins sensible à l'un ou l'autre de ces aspects de la profession et c'est sur ce point que je dirais qu'il peut exister une différence d'objectifs entre les étudiants mais qui n'est pas fondamentalement corrélée avec leur qualité d'homme ou de femme.

Il est néanmoins vrai que si je me livre à des considérations statistiques dans mon entourage personnel, je constate que les étudiants sont en moyenne davantage séduits par la casquette de chef d'entreprise que peut revêtir le notaire, là où les étudiantes peuvent lui préférer la casquette du juriste.

En tant que notaire et créatrice, quelle vision avez-vous du notariat et pensez-vous qu'elle diffère de celle de vos confrères masculins ?

S. Bat. Ma vision du notariat actuel est celle d’un notariat moderne et dynamique qui s’exprime via le développement du zéro papier et des technologies de pointe, comme l’acte authentique électronique ou encore la visioconférence. Ces outils permettent de répondre aux besoins de nos clients, tout comme l’ouverture sur l’international qui est également une problématique de plus en plus prégnante de notre profession.

Même si les spécialisations semblent nécessaires de par la complexité et l’étendue des connaissances à maîtriser pour toujours répondre le plus précisément possible aux préoccupations de nos clients, la formation notariale reste globale et complète. Cette vision d’ensemble permet d’accompagner nos clients dans tous les domaines : du droit de l’urbanisme au droit patrimonial en passant par le droit des collectivités ou le droit des affaires, avec une note d’international dans bien des situations.

On peut imaginer que certains clients choisissent une femme notaire pour leur faire part de leurs problèmes personnels. Mais, à mon sens, la compétence prime sur toute autre motivation.

Je n’ai pour ma part ressenti aucune difficulté liée au fait d’être une femme lors de ma création, que ce soit dans les relations avec les clients, les confrères ou les instances professionnelles.

Nous sommes tous des officiers publics ministériels, qui avons pour même objectif de garantir la sécurité juridique à nos clients et ce, quel que soit notre âge, notre lieu d’exercice ou notre genre.

(Propos recueillis par Liliane Ricco)

Rédaction Lextenso

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