La filiation en 2018 : adoption et PMA en question

Ref : Defrénois 15 févr. 2018, n° DEF133a6, p. 12

Le Club du Châtelet a souhaité s'inscrire dans le cadre du grand débat sur la famille annoncé par le président Macron pour l'année 2018.

C'est ainsi qu'une conférence-débat sur le thème « Des nouvelles des enfants - La filiation en 2018 : adoption et PMA en question » s'est tenue le 30 janvier dernier à l'École du notariat, animée par Pascal Chassaing, président de la chambre des notaires de Paris.

Pierre Dauptain, notaire et essayiste (v. Defrénois 5 oct. 2017, n° 127y3, p. 13), et Benoît Delesalle, notaire, ont accepté de revenir sur leur intervention et mettre en lumière les questions qui ont soulevé le plus d'interrogations.

Vous avez évoqué l’interdiction de l’adoption directe. Pouvez-vous nous en rappeler les enjeux ?

Pierre Dauptain. Sauf en cas de parenté avec l’adoptant, un enfant, pour être adopté, doit d’abord être remis au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un organisme autorisé pour l’adoption. Une femme qui accouche sous X ne peut donc pas choisir un couple d’adoptants et vit souvent avec la culpabilité d’avoir « abandonné son enfant à l’assistance publique » plutôt que la consolation de l’avoir confié à un couple aimant.

Cette interdiction est motivée par la volonté d’éviter les arrangements mercantiles qui verraient un couple profiter de la misère d’une mère, dans une démarche voisine d’une GPA.

Pourtant, il n’y a pas dans l’adoption directe de contrat avec une femme qui s’engage à céder un enfant non encore conçu : on est en présence d’une mère qui n’a pas avorté, qui a porté son enfant et l’a mis au monde et qui, contrainte de ne pas le reconnaître, souhaite participer à son adoption. Une telle pratique, si on l’autorise, comme toute adoption, serait encadrée judiciairement ce qui devrait éviter les dérives.

On peut donc se demander si l’on doit s’interdire de voter une loi, moralement défendable, au seul motif qu’elle risquerait d’être détournée.  Ne revient-il pas au Code pénal de sanctionner les abus opérés à partir des textes du Code civil ?

Pouvez-vous résumer quelques difficultés dans la pratique de la PMA ?

Benoît Delesalle. La PMA constitue l’un des thèmes de réflexion débattus lors des États généraux de la bioéthique. Faut-il maintenir l’accès à cette méthode assistée de procréation aux seuls couples hétérosexuels ? La restreindre aux couples ? Contradiction et critiques se succèdent dans la réflexion.

Dureté et tolérance alternent pour établir le lien avec l’enfant de l’autre. La PMA en France est ouverte à tout couple hétérosexuel infertile. L’adoption n’est possible que pour le conjoint, donc marié, du parent même si l’enfant est issu d’une PMA illégale. La conséquence est connue : le notaire est régulièrement saisi par des couples de femmes mariées de demandes d’adoption de l’enfant du conjoint.

Ces PMA réalisées à l’étranger par des Françaises bousculent le schéma familial. Si l’on met de côté la question financière, c’est sur l’impossibilité d’établir un double lien dès la naissance de l’enfant que porte la difficulté. Seul le couple hétérosexuel marié en bénéficie via la présomption pater is est. Et dans la PMA hétérosexuelle, quand le couple n’est pas marié, la reconnaissance à laquelle le père d’intention s’est engagé en signant le protocole est bien possible. Pour un couple de femmes même mariées c’est impossible : la vraisemblance biologique à laquelle le droit français est attaché l’interdit.

Comment abordez-vous la question de l’accès des couples de femmes à la PMA ?

B. Delesalle. Si l’infertilité du couple n’est plus le critère d’accès à la PMA, elle changera de sens : il s’agirait plus alors de satisfaire au désir d’enfant.

Mais ce désir serait-il l’apanage du couple et dès lors interdit à une femme ou à une personne seule ? On peut voir là une discrimination. Pour que la gratuité soit garantie pour la PMA, il sera difficile de la justifier comme aujourd’hui par l’infertilité : s’agirait-il cependant d’une question de santé publique ?

Ouvrir l’accès de la PMA aux couples de femmes viendrait bouleverser le droit de la filiation puisqu’à  sa naissance l’enfant  serait déclaré sous le nom de sa mère biologique et de sa mère d’intention. Un double lien de filiation serait établi sans devoir emprunter l’adoption.  Quel serait alors le vecteur de cohérence indispensable pour ces règles ? La stabilité de la vie familiale ou qui sait… peut-être l’intérêt de l’enfant ?  P. Dauptain. On peut cependant aborder la réflexion sous l’angle du mariage.

Je constate que depuis la loi de 2013, la question est tranchée : aux yeux de la société, un couple de même sexe qui se marie, comme un couple hétérosexuel, fonde une famille. C’est pourquoi ce couple homosexuel a accès à l’adoption.

Dans ce contexte, il m’apparaît – et ces propos ne sont pas ceux d’un militant mais ceux d’un simple observateur –, qu’interdire l’accès à la PMA à un couple de femmes mariées au motif que son infertilité n’a rien de pathologique, sur la base de textes antérieurs à 2013, est en contradiction avec la démarche initiée il y a 5 ans.

Ma réflexion est différente pour un couple de femmes non mariées ou pour les femmes seules dont la démarche ressort plus d’une revendication d’un « droit à l’enfant ».

(Propos recueillis par Liliane Ricco)

Rédaction Lextenso

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