Pour une réforme du droit des contrats spéciaux

Ref : Defrénois 12 oct. 2017, n° DEF129r2, p. 11

Pourquoi réformer le droit des contrats spéciaux ?

Le droit commun des contrats a fait l’objet d’une réforme profonde par l’ordonnance du 10 février 2016. Il est désormais impérieux de réformer les règles applicables aux contrats spéciaux.

C’est la raison pour laquelle l’Association Henri Capitant a remis à la Chancellerie, en juin dernier, un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux. Aux travaux de cette commission ont participé Alain Bénabent, Jean-Claude Dubarry, Philippe Dupichot, Pierre-Yves Gautier, Alain Ghozi, Cyril Grimaldi, Jérôme Huet, Jean-Baptiste Seube et Christophe Vernières. Ont également été consultés : Philippe Delebecque, Michel Grimaldi, Denis Mazeaud, Benoît Moore, Hugues Périnet-Marquet, Pierre Vignalou et David Vittori.

Cet avant-projet, ainsi que son exposé des motifs, sont librement consultables sur le site de l’Association (http://www.henricapitant.org/).

La prochaine Journée nationale de l’Association, qui se tiendra le 17 novembre prochain à l’université Grenoble Alpes, sera consacrée à l’étude de cet avant-projet. Toutes personnes intéressées pour participer à cette Journée de formation sont invitées à contacter l’université Grenoble Alpes ([email protected]).

Quelles sont les grandes lignes de l’avant-projet ?

L’objectif a été de proposer une réforme des principaux contrats spéciaux : la vente, l’échange, la location, les contrats de prestation de service, les contrats de représentation, le prêt, le dépôt, le séquestre, et les contrats aléatoires. Il est également apparu opportun de créer, à côté d’un droit des contrats spéciaux, un droit des obligations spéciales.

L’ensemble de ces dispositions a naturellement un impact sur la pratique notariale. En dehors de la vente et du contrat de construction, on peut citer l’exemple du mandat : il est proposé de faire un cas particulier à la procuration, qui n’est qu’une pure délégation de signature, afin d’exclure celle-ci des dispositions de l’article 1161 du Code civil (art. 144).

Quelles sont les nouveautés pour la vente d’immeuble ?

Les nouvelles règles relatives à la vente reprennent pour certaines d’entre elles les solutions jurisprudentielles : par exemple, une disposition relative aux promesses synallagmatiques de vente distingue celles valant vente de celles ne valant pas vente (art. 15) et une autre disposition porte sur la question des transferts d’actions en garantie ou en responsabilité, en cas de vente du bien (art. 25).

L'avant-projet contient aussi un certain nombre d'innovations. En voici deux.

Primo, afin de tenir compte des difficultés rencontrées par les notaires lorsque des désordres sont révélés entre la conclusion de la promesse de vente et la signature de l’acte de vente, il est précisé que les règles de la vente s’appliquent en tant que de raison (art. 20). Ainsi, une promesse unilatérale de vente pourra se trouver soumise, en tant que de raison, aux règles relatives à la garantie d’éviction ou aux vices cachés. Si un vice caché apparaît donc après la conclusion d’une promesse, celui qui envisageait d’acquérir pourra mettre fin à la promesse ou agir en réduction du prix.

Secundo, la garantie des vices prend fin 2 ans ou 5 ans après que le bien a été réceptionné par l’acheteur, selon que le vendeur ignorait ou connaissait le vice et il incombe à l’acheteur qui découvre le vice d’en dénoncer au vendeur l’existence et la nature dans un délai raisonnable (art. 33). Ces règles, conçues dans une perspective de sécurité juridique, assurent au vendeur qu’à l’échéance d’une période définie, sa garantie ne sera plus due.

Quelles sont les nouveautés pour le contrat de construction ?

L'avant-projet prévoit en la matière (art. 86 à 98) plusieurs innovations.

Citons notamment l'article 86 qui prévoit que le constructeur ne peut, dans un marché à forfait, opposer au client deux dispositions du droit commun des contrats, issues de l’ordonnance du 10 février 2016 : l’article 1195 du Code civil, qui permet, sous certaines conditions, d'opposer le jeu de l'imprévision pour parvenir à une renégociation du contrat (voire à sa résolution), et l’article 1221 du même code, qui empêche, sous certaines conditions, le créancier d'une obligation de poursuivre son exécution en nature. Il apparaissait en effet judicieux d'écarter ici l'application de ces deux dispositions compte tenu de la qualité de professionnel du constructeur et de l'importance de l'exécution en nature de l'obligation de construire un ouvrage. L'article 86 permet ainsi, en matière de marché à forfait, de consacrer une pratique que nous préconisons depuis l'entrée en vigueur de cette ordonnance en matière notamment de vente d'immeuble à construire.

L’avant-projet consacre en outre certaines jurisprudences depuis longtemps acquises (par exemple, l'article 90 intègre la possibilité d'une réception tacite et prévoit les conditions sous lesquelles la réception judiciaire peut être prononcée) et abandonne la responsabilité des fabricants d'éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS) de l'article 1792-4 du Code civil, qui pose de nombreuses difficultés.

Enfin, soulignons que l'avant-projet modernise les termes employés (le « maître de l'ouvrage » devient le « client », l'« entrepreneur » devient le « constructeur »), et propose une présentation des textes plus intelligible. Par exemple, l'article 1792-1 du Code civil prévoit, pour l'application de la responsabilité des constructeurs, que sont réputées constructeur certaines personnes qui sont énumérées au sein dudit article, sans pour autant être exhaustif. Or d'autres personnes sont également réputées constructeur en vertu d'autres dispositions (C. civ., art. 1646-1 et 1831-1 et CCH, art. L. 231-1). Le projet énumère désormais l'intégralité de ces personnes au sein d'un même article (art. 94).

Cyril Grimaldi, professeur à l’université Paris 13, Christophe Vernières, professeur à l’université Grenoble Alpes, Pierre Vignalou, notaire à Paris, David Vittori, notaire associé à Paris

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