Le notaire, un témoin privilégié de l'évolution de la parentalité

Entretien avec Pierre Dauptain, notaire et essayiste

Ref : Defrénois 5 oct. 2017, n° DEF127y3, p. 13

Vous venez de publier un essai sur l'évolution de la parentalité des années 60 à nos jours. En votre qualité de notaire, et donc d’observateur privilégié des mouvements de la société, quels sont vos deux principaux constats ?

Pierre Dauptain. Je constate tout d’abord que l’évolution de la parentalité s’inscrit dans une société où, petit à petit, les différences ont, dans tous les domaines, tendu à s’effacer. Par exemple, sous l’influence du féminisme, les années 70 ont vu apparaître non seulement la mode unisexe mais surtout l’accès des femmes au marché du travail, puis à des emplois jusque-là réservés aux hommes. Sous l’effet de la mondialisation, les villes du monde entier ont fini par proposer les mêmes enseignes. Et politiquement, l’élection d’Emmanuel Macron a marqué l’aboutissement d’un mouvement d’effacement des différences entre la gauche et la droite observé depuis quelques temps, que la loi Macron elle-même, loi de droite votée par la gauche, avait annoncé.

Parallèlement, cet effacement des différences a été au cœur de l’évolution du droit de la parentalité et ce, au nom de la recherche de l’égalité et de la lutte contre les discriminations. Au début des années 70, la reconnaissance de l’enfant adultérin a été autorisée et l’on a attribué à l’enfant naturel simple les mêmes droits héréditaires qu’à l’enfant légitime. Au début du 21e siècle l’enfant adultérin, qui avait une part moindre dans la succession de son auteur, a cessé d’être discriminé jusqu’à ce que finisse par disparaitre dans la loi tout distinguo entre filiation naturelle et filiation légitime. Le tout, à un moment où, avec l’arrivée du pacs, les différences entre union libre et mariage venaient à s’estomper et où le couple homosexuel, puis, en 2013, l’homoparentalité, étaient reconnus par le code civil.

Toute cette évolution met alors d’autant plus en lumière les paradoxes qui existent aujourd’hui dans les textes et qui ne peuvent qu’interpeller le législateur, comme les membres du conseil national d’éthique. N’est-il pas surprenant que le couple qui veut adopter doive être marié mais puisse être de même sexe, quand le couple qui souhaite recourir à l’AMP n’ait pas besoin d’être marié mais doive être de sexes différents ?

Mon second constat est que l’on assiste, sur cette même période, à un balancement permanent entre la prise en considération tantôt du biologique, tantôt de l’intention, dans l’établissement de la filiation. À bien des égards, la filiation d’intention semble prendre une part prépondérante: la présomption pater is est, malgré la perte de vitesse du mariage, continue à s’appliquer et nul besoin, pour le père non marié qui veut reconnaître un enfant, d’apporter la preuve de sa paternité par des tests ADN. L’adoption puis le développement de l’AMP avec tiers donneurs consacrent cette filiation d’intention. Pour autant, l’intention n’est pas tout : l’AMP est à ce jour refusée aux couples de femmes et la GPA continue d’être illégale. Et quand il s’agit pour un enfant d’établir sa filiation contre le gré de son géniteur, c’est bien la réalité biologique et non l’intention du parent qui est alors prise en compte par le juge.

Le notaire est aujourd’hui régulièrement confronté à la problématique des familles recomposées. De votre point de vue, comment cela ressurgit-il sur la pratique notariale ?

P. Dauptain. Les familles recomposées de la première moitié du 20e siècle avaient le plus souvent pour origine un veuvage lié à une espérance de vie moindre qu’aujourd’hui et aux guerres qui ont marqué ces premières décennies. Aujourd’hui, elles trouvent leur origine dans l’explosion du mariage et dans la fragilité des couples en général. Les familles nombreuses des années 60, constituées d’un couple ayant cinq ou six enfants, ont été remplacées par des familles plus ou moins bien recomposées, avec cinq ou six enfants, mais de lits différents.

De ce point de vue, on constate qu’au nombre des différences qui semblent bien ancrées et difficilement effaçables, figure celle existant entre le parent et le beau-parent. Et dès qu’il s’agit de vouloir légiférer pour organiser un statut du beau-parent, sujet qui touche pourtant de plus en plus de foyers, les boucliers se lèvent aussitôt dans l’opinion publique. Mais la mise sur un pied d’égalité du parent et du beau-parent peut être inscrite dans la loi sans qu’on y prenne garde : on peut observer que, cet été, aucune voix ne s’est élevée pour contester, dans la loi de moralisation de la vie politique, l’assimilation faite entre l’emploi proposé par un parlementaire à son enfant et celui qu’il propose à l’enfant de son conjoint voire à celui de son concubin…

Le phénomène de ces familles recomposées en raison de la fragilité des couples étant relativement récent, et l’espérance de vie augmentant, les notaires, s’ils commencent à devoir gérer ce type de dossier, ne sont finalement pas encore confrontés régulièrement au règlement de successions mettant en concours des enfants issus de différents lits. Dans une vingtaine d’années, cela constituera sans doute la majorité des dossiers.

Les notaires sont en revanche régulièrement consultés par des couples qui, ayant des enfants d’unions précédentes, souhaitent se protéger tout en préservant les intérêts de leurs enfants. Et quand, en vue de leur mariage, ils réfléchissent à leur régime matrimonial, le choix de la séparation de biens leur apparaît comme une évidence.

D’ailleurs, les recompositions familiales peuvent être des réussites et la transmission du patrimoine du beau-parent vers ses beaux-enfants est alors un sujet de consultation assez fréquent qui débouche, le plus souvent, sur une adoption simple, quand les enfants sont majeurs.

Votre ouvrage pourrait se chanter ! Comme vous l’aviez déjà proposé dans votre précédent ouvrage (« 50 ans de mariage »), vous invoquez à notre mémoire les chansons qui constituent le reflet de l'évolution de la société.

P. Dauptain. C’est la chance que j’ai : je n’écris pas des livres de droit, mais des essais, avec toute la liberté que ce mot implique, y compris celle de traiter des sujets juridiques « en chansons », comme le chantait Michel Sardou à la fin des années 70. Par exemple, pour illustrer la différence, au demeurant technique, voire philosophique, entre la filiation indivisible née du mariage et les filiations individuelles découlant d’une union libre, je peux m’amuser à citer Joe Dassin concernant la première (« À l’enfant qui viendra/Qui nous ressemblera/Qui sera à la fois toi et moi ») et Claude François pour la seconde (« Toi et moi contre le monde entier/Toi seul à mes côtés »). Si, comme je l’espère, ces citations font sourire et fredonner le lecteur, elles ont également pour ambition de remettre les lois dans leur contexte sociétal. Ce n’est pas anodin de souligner que la réforme de la filiation de 1972 est votée dans le courant des événements de mai 1968 et du mouvement hippie, l’année où Maxime Le Forestier invitait les Français à venir visiter sa maison bleue accrochée à la colline de San Francisco.

(Dauptain P., Et comment vont les enfants ? Réflexions d'un notaire sur l'évolution de la parentalité des années 60 à nos jours, 2017, L'Harmattan, Éditions Pepper, 206 p., 22,50 €)

(propos recueillis par Liliane Ricco)

Rédaction Lextenso

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