Précisions relatives à la filiation à l’égard d’un conjoint transgenre

Par un arrêt destiné à la plus large publicité, la Cour de cassation se prononce sur la filiation à l’égard d’un conjoint transgenre.

Quelques années après la naissance du second enfant d’un couple, l’époux saisit le TGI d’une demande de modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil. Un jugement accueille sa demande et dit qu’il serait désormais inscrit à l’état civil comme étant de sexe féminin, avec un prénom féminin. Cette décision est portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage.

Trois ans plus tard, l’épouse donne naissance à un troisième enfant, conçue avec l’époux qui avait changé de sexe, celui-ci ayant conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins. L’enfant est déclarée à l’état civil comme née de l’épouse et son conjoint demande la transcription, sur l’acte de naissance de l’enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui est refusé par l’officier de l’état civil.

Aux termes de l’article 61-5 du Code civil, toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Selon l’article 61-6 du même code, le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus d’accueillir la demande, de sorte que la modification du sexe à l’état civil peut désormais intervenir sans que l’intéressé ait perdu la faculté de procréer.

Si l’article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement.

Il convient dès lors, en présence d’une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du Code civil.

Aux termes de l’article 311-25 du Code civil, la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant.

Aux termes de l’article 320 du même code, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.

Ces dispositions s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption.

En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du Code civil, la filiation de l’enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant.

De la combinaison de ces textes, il résulte qu’en l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père.

Aux termes de l’article 3 § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Selon l’article 7 § 1, de cette Convention, l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

L’article 8 de la Conv. EDH dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Aux termes de l’article 14, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.

Elles sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d’autre part, en ce qu’elles confèrent à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et sœur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiqués.

En ce qu’elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l’enfant et la personne transgenre – homme devenu femme – l’ayant conçu, ces dispositions concilient l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là-même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue.

Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché.

En conséquence, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel de Montpellier constate l’impossibilité d’établissement d’une double filiation de nature maternelle pour l’enfant, en présence d’un refus de l’adoption intra-conjugale, et rejette la demande de transcription, sur les registres de l’état civil, de la reconnaissance de maternité du conjoint transgenre à l’égard de l’enfant.

Mais la loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ».

La cour d’appel qui, pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant, s’agissant de la désignation du conjoint transgenre, retient que seule cette mention est de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit du conjoint transgenre de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l’enfant et le droit au respect de sa vie privée, le terme de « parent », neutre, pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre le parent et son enfant, viole l’article 57 du Code civil et l’article 8 de la Conv. EDH.

Elle ne peut en effet créer une nouvelle catégorie à l’état civil et, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y fait obstacle.

Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 18-50080

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