Délaissement, acquisition par la commune, prix de revente et atteinte au droit de propriété

Les propriétaires d’une parcelle de terre située dans un emplacement réservé par le POS mettent en demeure la commune de l’acquérir en application de la procédure de délaissement alors prévue par l’article L. 123-9 du Code de l’urbanisme. Aucun accord n’étant intervenu sur le prix de cession, un jugement du juge de l’expropriation ordonne le transfert de propriété au profit de la commune et un arrêt en fixe le prix d’acquisition. Plus de 20 ans plus tard, le terrain est revendu et fait l’objet d’un permis de construire. Les anciens propriétaires assignent alors la commune en paiement de dommages-intérêts.

En vertu de l’article L. 123-9 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la cause, le propriétaire d’un fonds grevé d’un emplacement réservé dispose du droit de délaissement qui consiste à enjoindre à la collectivité publique d’acquérir le bien faisant l’objet de la réserve.

L’article L. 12-6 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, alors applicable, permet à l’exproprié de demander la rétrocession du bien si celui-ci n’a pas reçu dans les 5 ans la destination prévue par l’acte déclaratif d’utilité publique.

Il est jugé que l’exercice du droit de délaissement, constituant une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire du bien, ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le fondement de l’article L. 12-6 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, même lorsque le juge de l’expropriation a donné acte aux parties de leur accord sur la fixation du prix et ordonné le transfert de propriété au profit de la collectivité publique (Cass. 3e civ., 26 mars 2014, n° 13-13670).

En matière d’expropriation, si le droit de rétrocession est applicable en cas de cession amiable postérieure à une déclaration d’utilité publique, il ne l’est pas en cas de cession antérieure à celle-ci lorsque les cédants n’ont pas demandé au juge de l’expropriation de leur en donner acte en application des dispositions de l’article L. 12-2, devenu L. 222-2, du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, une telle cession ne pouvant avoir les mêmes effets qu’une ordonnance d’expropriation (Cass. 3e civ., 24 sept. 2008, n° 07-13972).

Toutefois, le droit de rétrocession est également applicable en cas de cession amiable précédée d’une déclaration d’utilité publique prise en application de l’article 1042 du Code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 82-1126 du 29 décembre 1982 (Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 07-21589).

La cour d’appel qui relève que les décisions ayant ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et fixé le prix d’acquisition ne font pas état d’une déclaration d’utilité publique et retient qu’il n’est pas établi qu’un arrêté d’utilité publique de l’acquisition ait été pris par l’autorité administrative, retient exactement que les propriétaires ne pouvaient pas prétendre à la rétrocession du terrain, ni à une indemnité compensatrice, sur le fondement de l’article L. 12-6 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, alors applicable.

Mais selon l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

L’ancienne propriétaire est fondée à se prévaloir du droit garanti par ce texte, dès lors que la parcelle ayant fait l’objet du droit de délaissement constitue un bien protégé au sens de celui-ci.

La mesure contestée, en ce qu’elle prive de toute indemnisation consécutive à l’absence de droit de rétrocession le propriétaire ayant exercé son droit de délaissement sur le bien mis en emplacement réservé et donc inconstructible, puis revendu après avoir été déclaré constructible, constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit.

Cette ingérence a une base claire et accessible en droit interne dès lors qu’elle est fondée sur les textes et la jurisprudence précités.

Elle est justifiée par le but légitime visant à permettre à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l’intérêt général, d’un bien dont son propriétaire a exigé qu’elle l’acquière.

Cependant, il convient de s’assurer, concrètement, qu’une telle ingérence ménage un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en particulier, qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi.

À cet égard, il y a lieu de relever que les anciens propriétaires avaient, sur le fondement du droit de délaissement et moyennant un prix de 800 000 francs (121 959,21 €), cédé à la commune leur bien, qui faisait alors l’objet d’une réserve destinée à l’implantation d’espaces verts, et que la commune, sans maintenir l’affectation du bien à la mission d’intérêt général ayant justifié sa mise en réserve, a modifié les règles d’urbanisme avant de revendre le terrain, qu’elle a rendu constructible, à une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 €.

Il en résulte que, en dépit du délai de plus de 25 années séparant les deux actes, la mesure contestée porte une atteinte excessive au droit au respect des biens des anciens propriétaires au regard du but légitime poursuivi.

Dès lors, en rejetant la demande en paiement de dommages-intérêts, la cour d’appel viole le texte susvisé.

 

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